Le saviez-vous ?

La prosopagnosie, un trouble méconnu

Les personnes présentant une « prosopagnosie » ont une difficulté ou une incapacité à reconnaître des visages, le sien comme celui d’autrui. Cet article nous éclaire sur cette maladie de la mémoire et nous explique comment le cerveau humain fonctionne pour identifier un visage.

Publié le 07.11.2019
prosopagnosie

Les personnes présentant une « prosopagnosie » ont une difficulté ou une incapacité à reconnaître des visages, le sien comme celui d’autrui. Elles ne peuvent se reconnaître sur une photo ou dans un miroir ni identifier la personne familière en face de soi ou dans un magazine. Ce trouble de la reconnaissance des visages  peut être présent dès la naissance (prosopagnosie développementale) ou apparaître à la suite d’une lésion cérébrale - c’est toutefois très rare. Dans le premier cas, les sujets ne s’aperçoivent parfois pas qu’ils sont dépourvus de cette faculté et peuvent passer pour étourdis ou hautains. La fréquence de cette particularité est inconnue ; une enquête menée chez 689 étudiants allemands en 2006 a suggéré qu’elle puisse concerner 2,5% de la population1. 

Les prosopagnosiques utilisent des indices auditifs (voix) ou visuels (cicatrice, cheveux, lunettes etc.) pour « reconnaître » autrui [1]. S’ils peuvent décrire un visage (genre, coiffure, couleurs de la peau ou des yeux etc.), ces personnes ne perçoivent pas la différence entre deux personnes proches ayant la même couleur de peau et de cheveux. On a pu montrer chez certains sujets que le sentiment de familiarité est préservé. Le cerveau réalise un traitement automatique qui peut être observé en analysant les réflexes du système sympathique en action : accélération du pouls, élévation de la sueur etc. face à un visage connu uniquement. 

L’existence d’un tel trouble souligne l’aptitude du cerveau à reconnaître un visage familier en moins d’une seconde sous des angles différents et à des âges variés, notamment à travers le regard, alors même que nous croisons dans notre vie des centaines de milliers de visages. Certaines zones cérébrales des cortex postérieurs sont spécialement dévolues à cette fonction de reconnaissance/d’identification d’un visage connu. Elles permettent l’analyse perceptive d’un visage (y compris pour une photo à l’envers ou avec un morphing) et la bonne association entre le percept et les visages stockés en mémoire avec leur « étiquette » (leur nom). 

Il existe un autre trouble d’identification : le syndrome de Capgras2, ou l’illusion de sosie, dans lequel la personne affectée pense qu’un proche est remplacé par un double ou un imposteur. 

Le malade perd le sentiment de familiarité, ce qui lui fait dire que « son proche », qu’il identifie pourtant, est remplacé par « un sosie » ayant les mêmes traits. 

Cette situation, qui n’est pas rare, s’observe dans des maladies psychiatriques ou des lésions neurologiques. Selon le Dr Catherine Thomas-Antérion, Neurologue et Docteur en Neuropsychologie, alors que la prosopagnosie nécessite l’atteinte combinée de plusieurs réseaux cérébraux spécifiques, le syndrome de Capgras est plutôt en lien avec des phénomènes de dysconnexion et donc une altération - même légère - du réseau cérébral « suffit » pour qu’il se produise. On a pu utiliser le terme de « délire de Capgras » pour rendre compte au-delà du trouble de la familiarité (traitement émotionnel) d’un trouble des fonctions de contrôle (traitement attentionnel) conduisant à une explication irrationnelle - le sosie - dont les malades ne démordent pas et qui les conduit parfois à des violences envers le sosie pour le « faire disparaître » et retrouver le « vrai » proche.

Identification d’un visage connu et sentiment de familiarité sont au cœur d’un vaste réseau associant des informations en lien avec les circuits de la perception, des émotions, de la mémoire et de l’attention. Il existe des traitements conscients (et nécessairement lents) et des traitements automatiques et rapides. L’étude de personnes ayant une prosopagnosie ou un syndrome de Capgras avec des protocoles de recherche utilisant imagerie fonctionnelle et électrophysiologie peut permettre de mieux comprendre l’extraordinaire de ce pouvoir humain qu’est identifier l’Autre ! 

Notes

La prosopagnosie est ainsi à distinguer de l’agnosie des personnes, où les sujets atteints ne peuvent identifier ni la voix ni le visage, ni la silhouette ou encore la démarche.

En savoir plus

Catherine Thomas-Antérion, Troubles de l’identification, Situations cliniques : l’inconnu et le sosie. In « Ma mémoire et les autres », Francis Eustache et coll, Le Pommier, 2017
Kennerknecht I, Grueter T, Welling B, Wentzek S, Horst J, Edwards S, Grueter M. « First report of prevalence of non-syndromic hereditary prosopagnosia (HPA) » Am J Med Genet A. 2006;140 :1-22
Capgras' Delusion: A Systematic Review of 255 Published Cases. Pandis C, Agrawal N, Poole N. Psychopathology. 2019;52(3):161-173