La mémoire du système immunitaire

Le corps garde la mémoire de certains des agents pathogènes - virus, bactéries ou parasites - qu’il a rencontrés, afin de pouvoir mieux se défendre s’il y est confronté à nouveau. Sur quoi repose la mémoire du système immunitaire ? Le Professeur Dimier-Poisson, Directrice adjointe de l’Unité mixte de recherche « Infectiologie et Santé Publique » de l’INRAE et de l’Université de Tours, répond à nos questions.

Publié le 15.04.2020
système immunitaire
Comment le corps se souvient-il d’avoir rencontré un agent infectieux ?
Lors d’une infection, le système immunitaire réagit d’abord très rapidement grâce à une première ligne de défense, l’immunité innée. Celle-ci fait appel à des barrières physiques (peau et muqueuses), à des cellules dites phagocytaires -macrophages et neutrophiles- qui détruisent les agents infectieux de manière non spécifique, et à des protéines antimicrobiennes.

La deuxième réponse, celle de l’immunité adaptative est un peu plus longue à se mettre en place et permet de se défendre spécifiquement face à un agent infectieux donné. Les lymphocytes B capables de produire les anticorps qui correspondent au pathogène se multiplient et augmentent leur production d’anticorps de type IgM. En parallèle, les lymphocytes T capables de reconnaître les marqueurs du pathogène attaquent les cellules de l’organisme infectées. Ces cellules disparaissent après l’infection, mais un groupe de lymphocytes B et T mémoire persistent dans l’organisme comme des sentinelles.
A quoi sert cette mémoire immunitaire ?
Grâce aux cellules mémoire, le système immunitaire combattra le pathogène de façon plus rapide et efficace s’il le rencontre à nouveau. En particulier, les lymphocytes B mémoire synthétisent des anticorps qui ont un plus grand pouvoir protecteur, ce sont les IgG. La présence de ces anticorps dits « neutralisants » est à l’origine des essais cliniques de transfert de plasma sanguin de personnes guéries du COVID-19 à des personnes malades.

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Sur l’immunisation de groupe
Comment fonctionne un vaccin contre une maladie?
Le principe des vaccins repose sur l’observation qu’un premier contact avec une maladie induit une protection. Le rôle d’un vaccin est d’utiliser tout ou partie d’un pathogène, réduit à une forme non infectieuse, pour « faire croire » au corps qu’il est infecté et pour qu’il fabrique ces cellules mémoires comme dans le cas d’un contact avec le vrai pathogène mais sans les risques liés à l’infection.

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Le Monde
Futura Science
Science et Vie
Combien de temps dure cette mémoire immunitaire ?
Les cellules mémoire persistent de plusieurs mois à plusieurs années dans l’organisme, même si leur nombre diminue lentement.

La mémoire induite par la vaccination dépend du type de vaccin. Si on utilise un pathogène vivant dit « atténué », il est capable de rentrer dans nos cellules, sans toutefois déclencher la maladie, comme il a perdu de sa virulence. Dans ce cas, la réponse du système immunitaire repose à la fois sur les cellules B et T et la protection se maintient plusieurs années, voire dizaines d’années. C’est le cas des vaccins contre la rougeole, les oreillons, la rubéole… D’autres vaccins utilisent un pathogène mort (germe entierinactivé) ou des fragments du pathogène (vaccins « sous-unitaires »). Ils induisent une protection moins forte et nécessitent des rappels de vaccination ou l’utilisation d’adjuvants, molécules qui permettent de stimuler le système immunitaire.
Lorsque les virus mutent, sommes-nous toujours immunisés ?
Tout dépend de la mutation : certaines sont dites « silencieuses », elles ne modifient pas la signature du pathogène reconnue par notre système immunitaire. Ainsi, des mutations mineures n’empêcheront pas la mise au point d’un vaccin efficace.

En revanche, d’autres mutations peuvent compromettre notre réponse immunitaire, par exemple en modifiant ou faisant disparaître certains marqueurs du pathogène. C’est pour cela que le vaccin contre le virus de la grippe, qui mute beaucoup, est composé de plusieurs souches et doit être renouvelé chaque année.
Grâce à cette mémoire du système immunitaire, peut-on développer un test pour savoir si on a été infecté par une maladie ?
Oui, c’est le cas notamment pour la toxoplasmose. Pour une femme enceinte, contracter cette maladie pourrait être dangereux pour le fœtus. Un simple test sanguin permet de détecter si elle est porteuse d’IgG - et donc immunisée - ou d’IgM- et donc en cours d’infection - ou bien d’aucun anticorps et doit veiller à ne pas s’infecter pendant la durée de sa grossesse. Dans le cas du COVID-19, disposer de tests sérologiques permettrait d’estimer la proportion de la population qui a rencontré le virus.
Que signifie l’immunisation collective ?
A partir d’une certaine proportion de la population immunisée contre un pathogène, la chaîne de transmission entre personnes est suffisamment réduite. En effet, l’organisme des personnes guéries ou vaccinées combat efficacement le pathogène, qui ne peut pas se multiplier et se propager. Ces personnes ne sont pas « porteuses » du pathogène. Le pourcentage minimum de population qui doit être immunisée varie selon le degré de contagion de la maladie : il est estimé à 60% dans le cas du COVID-19 et à 90% pour la rougeole, encore plus contagieuse.
Qu’est-ce qu’un « orage cytokinique » ?
C’est un emballement du système immunitaire qui conduit à une trop forte inflammation. Les cytokines sont des messagers de l’inflammation qui interviennent dans la réponse immunitaire normale, mais par exemple chez certains malades du COVID-19 -hormis les enfants et les sujets âgés - un processus d’hyper-inflammation, dont le mécanisme est encore mal connu, se produit et conduit à la défaillance de plusieurs organes. En effet, les molécules inflammatoires sont essentielles à l’activation et au déroulement de la réponse immunitaire, mais si leur production n’est plus contrôlée, elles peuvent avoir des effets secondaires destructeurs sur de nombreux organes.

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Sur l’orage cytokinique
En quoi le BCG pourrait-il constituer un facteur protecteur contre le coronavirus ?
Le vaccin contre la tuberculose (vaccin vivant) provoque des effets bénéfiques non spécifiques, en stimulant l’immunité innée et en régulant l’inflammation, et pourrait aider le système immunitaire à réagir de façon adaptée contre le coronavirus. Des essais cliniques à grande échelle permettront de tester cette hypothèse.

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Sur un vaccin contre le COVID-19
Sur un essai clinique avec du plasma de patients guéris du COVID-19
Immunodépression, maladies auto-immunes : est-ce que le système immunitaire a « perdu la mémoire » ?
L’immunodépression est un affaiblissement du système immunitaire d’origine génétique, médicamenteuse… Dans les maladies auto-immunes, le système immunitaire attaque ses propres cellules. Il s’agit d’une erreur de l’apprentissage qui permet de différencier le « soi » des agresseurs extérieurs.