Inoubliable voyage au fil des mémoires : retour sur la Semaine de la Mémoire 2018
Conférences, tables-rondes, expositions, spectacles… Du 17 au 21 septembre 2018 s'est déroulée la 3e édition de la Semaine de la Mémoire à Montpellier. Une semaine mémorable à revivre à travers ce résumé et les comptes-rendus de conférences à télécharger.
Conférences, tables-rondes, expositions, spectacles… Une semaine mémorable ! Comment aurait-il pu en être autrement tant la mémoire est à l’œuvre dans nos actes quotidiens et la constitution de notre identité individuelle, sociale et collective ?
Pour qu’une information entre en mémoire, elle doit d’abord faire l’objet d’une perception. Les cinq sens sont mis à contribution. L’ouïe, la vue, l’odorat, le toucher et le goût ont été explorés durant toute la semaine. L’ouïe a été captivée par le pianiste Jean-François Zygel lors de la soirée d’inauguration, et lors des concerts, lectures, films, expositions et spectacles de danse, où la vue et le corps ont pris le devant de la scène. Les plus jeunes ont pu toucher à tout lors des ateliers scolaires. Enfin le goût s’est naturellement invité à la table des frères Pourcel pour un repas spécialement concocté à l’occasion de la Journée mondiale Alzheimer. « La semaine a été ponctuée par les arts, formes d’expression de la mémoire et support d’aide pour les patients », commente Francis Eustache, neuropsychologue et président du conseil scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires.
La mémoire perceptive est une fonction primaire que nous partageons avec les animaux. Pourtant, « on oublie plus qu’on ne se rappelle, souligne la neurologue Catherine Thomas-Antérion. Nous sommes bombardés en permanence d’informations et notre cerveau est programmé pour les trier ». Il ne les traite pas non plus toutes de la même manière : qu’il s’agisse de notre premier baiser, des tables de multiplication ou d’un rendez-vous chez le garagiste, différentes fonctions sont sollicitées. Perceptive, épisodique, procédurale, sémantique, de travail… La mémoire est non seulement multiple, mais elle est aussi tournée vers le futur. Ce sont ses connaissances et souvenirs qui permettent à l’individu de se projeter dans l’avenir, d’anticiper une situation. « Ce qui nous gouverne, c’est ce qui va nous arriver et la manière dont nous pouvons agir. C’est la mémoire du libre arbitre qui permet de prendre des décisions », explique Francis Eustache, lors de la présentation du nouveau livre publié par l’Observatoire B2V des Mémoires, justement intitulé « La mémoire au futur ». « La notion de futur est également indissociable de celle de prédiction», complète Hélène Amieva, professeur de psycho-gérontologie et épidémiologiste. « Aujourd’hui, en croisant de nombreux paramètres, nous parvenons de plus en plus finement à estimer le risque pour une personne de développer la maladie d’Alzheimer avec le temps, mais la prédiction est désormais du côté des big data », avance-t-elle.
Chaque donnée, chaque événement va être intégré à un ensemble de souvenirs préexistants et prendre sens, parmi les connaissances formelles ou l’histoire de la personne. Au niveau cérébral, le souvenir va être rejoué et transformé pendant le sommeil, la rêverie ou à chaque fois qu’il sera réactivé. « Nous avons observé que chez un sujet immobile ou quelqu’un qui dort, le cerveau rejoue tout ce qu’il s’est passé pendant d’encodage. C’est la reconsolidation », explique le neurobiologiste Robert Jaffard. Son évocation va modifier jusqu’à la quantité et la qualité des échanges entre les neurones sollicités. Ces processus sont également impactés par la charge émotionnelle, le contexte d’apprentissage et de restitution du souvenir. C’est ainsi que la relation à l’autre intervient de façon primordiale dès le plus jeune âge. « Les interactions vitales chez le jeune enfant vont sculpter son lobe préfrontal, qui permet de gouverner les émotions dont le siège est l’amygdale », souligne l’éminent psychiatre Boris Cyrulnik, invité lors de cette 3ème Semaine de la mémoire. « Le souvenir ne se construit pas chez un individu isolé. Nous enregistrons et nous accédons à nos souvenirs de façon partagée, complète Francis Eustache. Tout acte de mémoire est un acte social ».
Un acte social qui s’inscrit dans un groupe et plus largement dans l’identité collective. « On ne peut pas comprendre la mémoire individuelle sans la mémoire collective et réciproquement », précise l’historien Denis Peschanski. En tant que « représentation sélective du passé qui participe à la construction identitaire d’un groupe », la mémoire collective s’appuie sur des événements structurants. Leur récit n’est pas en accord avec toutes les mémoires individuelles, mais il fait sens autour de figures stables qui renvoient à une interprétation dominante. Comme pour la mémoire individuelle, ce passé est réinterprété en fonction du présent et les « régimes mémoriels » évoluent au fil du temps, glissant d’une figure structurante à une autre, laissant émerger des mémoires qui étaient jusque-là inaudibles pour le groupe. Quand la charge émotionnelle est trop forte, c’est le cas du trouble du stress post traumatique, il arrive que le processus d’enregistrement des souvenirs dysfonctionne. Des images, des sons, des odeurs de la scène traumatisante peuvent faire intrusion dans le présent, de jour comme de nuit. Les thérapies consistent alors à remettre le souvenir à sa place, dans le passé.
Enfin la mémoire s’inscrit également dans la glaise et les objets façonnés au fil des âges. Si les premières traces de vie sur Terre ont laissé leurs marques dans l’argile à travers les fossiles, les communautés humaines ont inventé les outils, les dessins rupestres et l’écriture. Datant de -3500 avant JC. les hiéroglyphes sont les premiers signes qui répertorient et catégorisent le monde. « Le pouvoir d’une société administrée est d’abord dans sa capacité à préserver, dépouiller, interpréter des archives pour prendre des décisions sur le futur », pose le philosophe Bernard Stiegler. Archives qui s’accumulent chaque jour dans les bibliothèques, tandis que les nouvelles technologies enregistrent un volume inégalé de données. « Nous produisons une société hypermnésique qui risque de devenir amnésique d’ici peu de temps, au vu de la fragilité de ses supports », précise Jean-Gabriel Ganascia, spécialiste de l’intelligence artificielle. De support bien plus fragile que des tablettes d’argile, les Big data enregistrent la totalité des données que nous inscrivons dans le web et les soumet à une capacité de calcul faramineuse. Si l’on peut écarter l’idée que les machines puissent aujourd’hui apprendre seules, on peut cependant s’interroger sur l’usage qui est fait de ces nouvelles mémoires externalisées.
Au cours de cet étonnant « voyage » d’une semaine au cœur de la mémoire, les visiteurs ont pu en percer les secrets et la découvrir sous ses multiples facettes. Quarante-cinq spécialistes chevronnés leur ont donné les clés des mécanismes et interactions entre les différentes mémoires. La mémoire est un tout, elle est plurielle.
Retour sur les grands rendez-vous de la Semaine de la Mémoire 2018
Retrouvez les résumés des temps forts à télécharger au bas de cette page. Au sommaire :
- Mémoire et musique
Concert d’inauguration de Jean-François Zygel suivi d’une table ronde avec Catherine Thomas-Antérion, neurologue et docteur en neuropsychologie, Francis Eustache et Hervé Platel, neuropsychologues et le neurobiologiste Jean-Michel Verdier. - Mémoire collective
Conférence de Denis Peschanski, historien - Programme 13-Novembre
Conférence de Francis Eustache et Denis Peschanski, co-fondateurs du programme de recherche 13-Novembre - Les fossiles ou la mémoire solide de l'évolution de la vie sur terre
- Invention des hiéroglyphes et construction d'une mémoire dans l'Egypte des pharaons
- Mémoire et traumatisme
Conférence de Boris Cyrulnik et Denis Peschanski - La peur de l'intelligence artificielle est mauvaise conseillère !
Conférence de Jean-Gabriel Ganascia, mathématicien, Président du comité d’éthique du CNRS et spécialiste de l’intelligence artificielle - Mémoire et corps : qu'en disent les philosophes
Conférence de Bernard Stiegler, philosophe - Big data : un système à double tranchant
Conférence de Bernard Stiegler, philosophe et Jean-Gabriel Ganascia, mathématicien, Président du comité d’éthique du CNRS et spécialiste de l’intelligence artificielle - Neurosciences de la mémoire
Conférence de Robert Jaffard, neurobiologiste - Les troubles de la mémoire
Conférence de Catherine Thomas-Antérion, neurologue et Isabelle Chaudieu, biologiste.
Télécharger le compte-rendu des conférences
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