La mémorisation par le jeu et l’action

En quoi le jeu, mais aussi l’action favorisent-ils la mémorisation ? Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque nous sommes engagés dans une action ? Mathieu Hainselin, Neuropsychologue et Maître de Conférences en Psychologie à Amiens, répond à ces questions et nous livre quelques pistes pour enrichir nos méthodes d’apprentissage…

Publié le 23.12.2020
jeu de société éducatif
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Mathieu Hainselin

Mathieu
Hainselin

Neuropsychologue et Maître de Conférences en Psychologie à Amiens
Apprend-on mieux en agissant ?
Comme on le comprend intuitivement, il est plus facile de retenir une recette si nous la réalisons nous-même plutôt que de la lire. L’action met en jeu les circuits cérébraux du mouvement et de la planification, ce qui demande un engagement personnel. Elle apporte une expérience sensorielle plus riche que la lecture ou l’écoute seules et associe plusieurs éléments qui sont mis en mémoire ensemble : contexte, objets utilisés, sons, odeurs... ; on parle d’effet « glue » pour désigner cette association de plusieurs éléments en mémoire. Ces différentes caractéristiques - mouvement, planification, engagement, richesse sensorielle, association - font de l’action une modalité d’apprentissage particulièrement efficace.(1)
L’action est-elle bénéfique pour l’apprentissage quel que soit l’âge ?
Oui, même si le cerveau des enfants est en perpétuelle évolution jusqu’à l’âge de 25 ans, tandis que les adultes ont un cerveau « mature » et ont développé des stratégies pour apprendre, l’apprentissage par l’action est efficace à tous les âges. Ça l’est également chez les personnes âgées ou atteintes de maladies neurodégénératives avec troubles de la mémoire. Nous avons même démontré son efficacité dans le cas particulier de l’ictus amnésique (2). Il s’agit d’un trouble transitoire avec perte de la mémoire de l’instant présent, dans lequel une personne à qui on raconte une histoire oublie 10 secondes après que quelqu’un lui a parlé. Même dans ces cas assez extrêmes, les personnes parviennent à retrouver quelques-unes des actions qu’elles viennent d’effectuer, plus souvent que des phrases qu’on vient de leur lire.

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Est-ce que l’apprentissage par l’action fonctionne aussi bien si l’on est plus « visuel » ou « auditif » ?
L’action fonctionne mieux pour retenir, quel que soit son « style d’apprentissage ». En réalité, se sentir plus « auditif » reflète une préférence pour apprendre des informations entendues mais cela ne se traduit pas forcément par une meilleure performance pour retenir une leçon qu’on aurait juste écoutée. Plutôt que de compter exclusivement sur un canal spécifique (la vue, le son, le toucher), mieux vaut les combiner pour avoir plus de chances de récupérer une information apprise !
Et le jeu, mémorise-t-on mieux en jouant ?
Les jeux peuvent faciliter fortement les apprentissages, a fortiori s’ils comportent de l’action. Selon leurs règles et contextes, ils apportent des ingrédients bénéfiques, tel l’humour, l’originalité et le caractère surprenant de certains univers de jeux. Dans les jeux de société, les interactions sociales sont une grande richesse et jouer est motivant : on y prend plaisir ! Être créatif fixe dans l’esprit ce que l’on a produit et demande souvent de faire un effort de récupération en mémoire d’éléments appris. Tous ces effets se cumulent en un cocktail gagnant pour des apprentissages robustes.
Comment utiliser le jeu dans l’apprentissage à l’école voire à l’université ?
Le jeu a déjà commencé à se faire une place à l’école primaire. Au lycée, avec l’introduction du « Grand Oral », certains établissements font appel à des comédiens de théâtre classique ou d’improvisation pour enseigner la prise de parole en public. Il est possible de rendre actif même un large auditoire comme c’est le cas dans les cours en amphithéâtres, avec de simples questions : on peut ainsi demander à chacun de mimer avec ses bras la lettre correspondant à sa réponse à un quiz.
Est-ce que le jeu aurait sa place dans l’enseignement à distance ?
Tout à fait, on peut pour cela utiliser des plateformes qui proposent des quiz avec un classement des joueurs. En visioconférence, on peut proposer à deux personnes un jeu de rôle comme « la pire façon de… », qui permet à la fois de se remémorer les « bonnes pratiques » et de moins redouter certaines situations. Là aussi, le jeu apporte des bienfaits spécifiques : être plus marquant, permettre à tous les étudiants de s’exprimer y compris ceux qui habituellement sont plus réservés que d’autres, apporter une certaine légèreté et un lien social, même à distance. Il est important de trouver des méthodes alternatives d'enseignement à une période où les étudiants souffrent de ne suivre leurs cours qu’à travers un écran.
A tout âge, cultivons l’adage « apprendre en s’amusant », et surtout efficacement !

En savoir plus

Le jeu est un démultiplicateur d’apprentissages, Interview de Grégoire Borst, Cerveau et Psycho n°122, Juin 2020
Learning Scientists : site de Ressources pédagogiques en anglais et français
Les posters de Learning Scientists en français

Notes

Hainselin M et al., (2013), Qu’est-ce que la mémoire de l’action, Revue de neuropsychologie, 5 : 129-134
Hainselin M et al, (2014), Just do it! How performing an action enhances remembering in transient global amnesia. Cortex;50:192-9.