Poète en herbe : « prends ton luth et me donne un baiser » ! C'est le printemps... des poètes !
Nous rédigeons cette brève pour montrer l’ingéniosité, la créativité et la relative naïveté d’un groupe de neuroscientifiques américains qui ont élaboré une étude autour de la création d’une poésie.


Catherine
Thomas-Antérion
Il y a autant de comportements poétiques que de poètes : pensée divergente ou convergente, long travail délibéré d’élaboration ou fulgurance (illumination). Toute étude neuroscientifique du moment où jaillit le « poème nouveau » est confrontée au fait que le temps de la création est précédé par l’accumulation de matériels dans la mémoire, d’expériences perceptives, de travail (de savoirs), etc.
Nous rédigeons cette brève pour montrer l’ingéniosité, la créativité et la relative naïveté d’un groupe de neuroscientifiques américains qui ont élaboré un paradigme d’étude d’une poésie en train de se faire (1) ! Dans le travail de Liu et al. (2015), les auteurs étudient un poème produit par des sujets novices (13 sujets d’âge moyen de 32 +/- 13 ans) ou experts (14 sujets de 31,6 +/- 10,7) appariés entre eux (critères démographiques, tâches de fluences et description d’image) : le temps de production est enregistré et corrélé à l’enregistrement de l’activité cérébrale en imagerie fonctionnelle (IRMf).
Les participants réalisent le travail d’écriture en deux phases : la production d’un texte poétique puis une phase d’amélioration (de correction) de la production. Enfin un groupe de trois experts (composés de poètes professionnels…) attribuent aux textes une note concernant la qualité technique poétique et une note concernant l’innovation linguistique et l’usage de la langue évaluant ainsi la richesse des métaphores, des assonances, des allitérations, le rythme, etc.
Une semaine avant de réaliser la saisie des données en imagerie, les participants devaient mémoriser 10 lignes de deux poèmes de la poétesse Marianne Moore (1887-1972) (voir encadré) et 10 phrases factuelles. On vérifiait avant l’expérience que les textes étaient mémorisés. Dans la machine d’imagerie, les participants réalisaient 6 tâches : récitation des poèmes, génération d’un nouveau poème (sur un clavier), correction du poème (visionné sur un écran) et uniquement de la forme esthétique (pas de corrections typographiques), génération de mouvement, génération de phrases nouvelles et récitation des phrases apprises.
L’analyse des régions impliquées dans la génération proprement dite du poème repose sur de savants calculs de soustraction entre les différentes tâches, calculs bien peu poétiques !
Marianne Moore est une poétesse américaine imagiste du début du XXème siècle. Elle avait un diplôme de biologiste (1909) ; elle travailla comme enseignante puis bibliothécaire à New York. Elle résumait sa poésie à l'art de créer des "hiboux imaginaires dans des forêts imaginaires". Quelques années plus tard, elle voyait sa poésie comme un "jardin imaginaire avec de vrais crapauds dedans". Elle publia en 1936 un ouvrage dont le titre était…. Le pangolin !
Extrait :
Une pieuvre de glace. Trompeusement réservée et plate
elle est couchée en grandeur et en masse
sous une mer de dunes de neige changeantes
des points rouge cyclamen et marron sur ses pseudopodes, clairement dessinés
faits de verre qui ploiera – une invention bien nécessaire
comprenant vingt-huit calottes de glace de cinquante à cinq cents pieds d’épaisseur
d’une délicatesse inimaginée.
Ce travail savant apporte quantité de résultats. Nous en retenons sept principaux !
- La poésie (comme la créativité en général) est sous-tendue par de larges réseaux neuronaux (on abandonne l’idée d’une région x d’un hémisphère unique utile à la créativité).
- Les régions recrutées sont les mêmes chez les novices et les experts : une motivation, un intérêt, une inclinaison, des objectifs différents, mais le même cerveau (on abandonne le sur homme ou la sur femme) !
- On observe une balance entre une hyperactivité de la région frontale médiane et une désactivation du cortex préfrontal bilatéral. Les régions frontales médianes sous-tendent des fonctions cognitives très variées telles que la motivation, l’intentionnalité, la prise de décision etc. Le cortex préfrontal sous-tend des fonctions de contrôle telles que la planification, le maintien, l’inhibition, la mémoire de travail etc.
- En plus du cortex préfrontal, on note une désactivation qui implique aussi le sillon intrapariétal : ces deux structures font partie du réseau attentionnel dorsal qui joue un rôle essentiel dans le contrôle attentionnel et la conscience. Ceci revient à dire que les idées créatives pour émerger nécessite une désinhibition cognitive et que le poète (novice ou expert) décentre son attention, afin de permettre la formation de nouvelles associations et la flexibilité mentale.
- Les réseaux du langage sont bien entendus aussi activés mais dans toutes les tâches. On observe par contre, seulement, dans la situation de génération d’idées nouvelles, l’implication du gyrus cingulaire ainsi que celle d’un vaste réseau recrutant amygdale et les régions hippocampiques, suggérant que pour créer un texte poétique, les poètes novices et experts puisent dans leur mémoire et notamment leur matériel autobiographique et leurs images mentales.
- Pendant la phase de correction, les cortex éteints pendant la génération reprennent du service, tandis que le cortex frontal médian ne modifie pas son implication : la motivation à écrire puis celle à corriger sont également au taquet !
- Les experts se distinguent tout de même des novices par l’intensité de la désactivation des cortex sous-tendant les fonctions de contrôles pendant la phase de génération. De plus, on observe uniquement dans leur groupe, le recrutement d’un réseau sous-cortical incluant la partie dorsale du noyau caudé et le thalamus dorsomédian, réseaux connus pour sous-tendre des comportements routiniers et automatiques que seuls les poètes chevronnés ont à leur disposition, à force d’entrainement !
L’ensemble de ces données avait pour objectif de proposer un modèle intégré neuropsychologique de la créativité poétique prenant en compte autant que possible trois étapes de celle-ci : « process, product and expertise ».
Poète en herbe, poète expert quand tu liras cette brève, tu sauras que la poésie est une inspiration que l’on a plus ou moins forte (premier mystère)… qu’écrire, écrire et écrire encore comme la gamme du musicien, automatise certaines associations et fait le style et enfin que sinon le talent (cela c’est le deuxième mystère), l’expertise a à voir avec la capacité que le poète a à lâcher le contrôle….
Notes
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