Points de vue d'experts

La mémoire olfactive : quand les souvenirs ont une odeur !

Notre nez serait capable de percevoir jusqu’à 1000 milliards d'odeurs différentes(1). Notre mémoire olfactive n’en apprend que quelques milliers et celles que nous associons à des souvenirs ont un puissant effet de réminiscence. Catherine Thomas-Antérion, Neurologue, Docteur en Neuropsychologie et membre du Conseil scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires, nous en dit plus sur cette mémoire à part.

Publié le 10.03.2021
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Catherine

Catherine
Thomas-Antérion

Neurologue
En quoi la mémoire olfactive est-elle particulière ?
Une particularité de la mémoire olfactive tient à la « vivacité » des souvenirs olfactifs de l’enfance. Les évènements récents (nos dernières vacances) sont plutôt mémorisés sous forme d’images, parfois de sons mais rarement d’odeurs. En revanche, des indices olfactifs associés à l’enfance pendant laquelle perception et émotion sont hyper stimulées, sont gravés durablement en nous. Ces odeurs permettent par association la réminiscence des souvenirs passés, comme le parfum de notre grand-mère associé aux vacances chez elle.

Autre spécificité de la mémoire olfactive, les odeurs associées à des souvenirs autobiographiques heureux ont le pouvoir unique de nous faire éprouver un état de bien-être mesurable : les battements cardiaques ralentissent, le rythme de la respiration aussi, que la seule remémoration des souvenirs heureux ne suffit pas à provoquer(2).
Comment fonctionne la mémoire olfactive ?
L’anatomie des régions impliquées dans l’olfaction explique probablement ses particularités. À la différence des autres aires sensorielles bien individualisées dans le cerveau, le cortex olfactif, responsable de l’identification des odeurs, est intriqué dans les régions impliquées dans l’émotion (amygdale) et la mémoire des souvenirs des épisodes personnels (hippocampe).
La mémoire olfactive évolue-t-elle avec l’âge ?
Avec l’âge, les récepteurs olfactifs diminuent dans le nez, d’autant plus si l’on a fumé, vécu dans un environnement pollué, contracté des infections virales... On estime que 20% des plus de 65 ans présentent un trouble de l’odorat. Dans les maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson), les neurones du bulbe olfactif dégénèrent précocement, ce qui entraîne également une baisse de l’odorat. Ainsi on mémorise moins de nouvelles odeurs avec l’âge et leur pouvoir évocateur est moins efficace.
Quels sont les effets à long terme chez les personnes qui ont perdu l’odorat ?
L’anosmie entraîne un certain nombre de handicaps dans la vie quotidienne, comme la perte du plaisir de manger, un risque accru d’accidents domestiques ou d’intoxications alimentaires, un doute social sur ses odeurs corporelles ou la quantité de parfum utile… En revanche, elle ne modifie pas le fonctionnement de la mémoire. Il est parfois possible de « ré-éduquer » progressivement son odorat (notamment après une infection Covid-19).

Notes

https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/biologie-odorat-notre-nez-peut-distinguer-moins-mille-milliards-odeurs-52974/
Précisons que respirer de la lavande par exemple aura un effet relaxant si cette odeur est associée à des souvenirs personnels heureux, mais il n’y a pas d’effet bénéfique universel démontré.

Pour en savoir plus

Sur le fonctionnement de l’odorat :
Roland Salesse, Le cerveau a du nez, The Conversation, 2016
Sur l’apprentissage des odeurs :
Roland Salesse, Olfaction : sentir, c’est comme jouer de la musique, cela s’apprend !, The Conversation, 2016
Sur la prise en charge de l’anosmie liée à la Covid-19 (Rééducation olfactive page 5) :
Les troubles du goût et de l'odorat au cours des symptômes prolongés de la Covid-19, HAS, Février 2021