L’impact de la retraite sur la mémoire

L'Observatoire B2V des Mémoires s'intéresse aux effets de la retraite sur la mémoire. Une équipe de recherche Inserm dirigée par Hélène Amieva, membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires, nous explique les changements mesurés lors de cette période charnière et nous invite à la préparer dès la vie active.

Publié le 17.09.2021
Impact de la retraite sur la mémoire
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Hélène Amieva

Hélène
Amieva

Epidémiologiste et membre du Conseil scientifique de l'Observatoire B2V des Mémoires

« Ah, vivement la retraite ! », entend-on parfois : finis le stress et le rythme imposés par le travail. Mais que sait-on exactement des effets de la retraite sur notre mémoire et nos fonctions cognitives ? Hélène Amieva, Directrice d’une équipe de recherche Inserm en épidémiologie à l’Université de Bordeaux et membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires, nous explique les changements qui ont pu être mesurés par les rares études qui portent sur cette période charnière… et nous enjoint à la préparer dans notre vie active ! 

Les capacités de mémoire diminuent-elles « systématiquement » à la retraite ?
Bien sûr on ne peut pas généraliser puisque chaque individu est unique et les conditions dans lesquelles on quitte son travail tout autant, mais les quelques études qui ont observé la mémoire et les fonctions cognitives durant cette période vont dans le sens d’une cassure concomitante avec le départ à la retraite. Certaines capacités intellectuelles comme la vitesse de traitement des informations diminuent lentement avec l’âge, mais au moment de la retraite, il s’opère un décrochage assez net, avec une accélération de ce phénomène. Puis, après une période d’adaptation nécessaire, un ou deux ans environ, on retrouve le rythme de diminution, plus lent, qui précédait, mais sans toutefois récupérer le niveau de performances antérieur.
A quoi cet effet marqué est-il dû ?
Cette cassure s’explique car le départ à la retraite est un évènement très fort dans la vie d’un individu. Souvent perçu comme heureux, positif, avec le fantasme de la liberté retrouvée partagé dans l’imaginaire collectif – ce qu’il est en partie - il est en réalité un peu paradoxal et « piégeux », car il représente une rupture du fonctionnement très brutale et démultipliée puisqu’elle intervient à plusieurs niveaux. L’activité professionnelle représente une part importante dans une vie, et, du jour au lendemain, l’individu n’est plus accaparé par les mêmes tâches. Sur le plan intellectuel, le travail impliquait bien souvent de résoudre à chaque minute un nouveau problème, et son arrêt signe un changement radical du fonctionnement cognitif. Sur le plan social, « partir à la retraite » signifie quitter le statut d’actif et l’identité liée à sa profession, avec le sentiment de perdre ses compétences, parfois un certain prestige. Les interactions avec les collègues de travail qu’on côtoie souvent plus que sa propre famille ou ses amis disparaissent, et avec elles, la dimension non seulement stimulante mais parfois amicale et affective.

Face à tous ces changements, le mot « transition » semble vraiment un mot clé. Chez tout individu, une vraie rupture du fonctionnement s’opère et si ce changement n’est pas anticipé et aménagé, il peut avoir un effet délétère. Ainsi, même s’il y aura plus de bénéfices à arrêter un travail pénible que d’autres professions « moins physiques », la retraite entrainera tout de même un changement drastique du mode de vie.

Quelques études vont jusqu’à montrer que lorsque le départ à la retraite est avancé et vécu comme prématuré, il peut être un facteur de risque de déclin cognitif plus pathologique.
La façon dont on perçoit la retraite a-t-elle une influence sur les performances de mémoire ?
La symbolique autour du terme « retraité » induit un changement de l’image que l’on a de sa propre personne : on s’aperçoit que l’entreprise, l’équipe, le poste, qu’on a quittés fonctionnent finalement bien sans nous. Et au-delà, on réalise qu’on est passé à une étape de sa vie où on se sent plus proche de la fin que du début, et de fait, plus âgé. Or plus l’âge subjectif (celui qu’on se donne dans sa tête) est élevé, plus les performances cognitives sont faibles. En effet, si l’on se sent vieux, on ne donne pas le meilleur de soi-même face à une tâche de mémoire : inconsciemment, on mime l’image que l’on a de la personne âgée, plutôt encline à avoir des troubles de mémoire. Tandis que si on s’estime plus jeune que son âge réel, plein d’énergie, de ressources, alors, on se donne les moyens d’être performant, sachant qu’on peut y parvenir.
Quelles sont les activités les plus bénéfiques à la mémoire ?
Il y a autant de réponses que d’individus ! Il s’agit de trouver une activité qui permette de se sentir impliqué dans la société. Le sentiment d’utilité est très important, car c’est ce sentiment que la retraite va mettre à mal. Il peut s’agir de bénévolat, d’activités sportives, culturelles, artistiques, s’investir dans des clubs, ou auprès de sa famille, de ses petits-enfants si l’on en a… peu importe pourvu que l’on y trouve du sens.

En réalité, la retraite se prépare tout au long de la vie, car il est difficile de s’inventer une passion ou une vie sociale foisonnante à plus de 60 ans, surtout lorsqu’arrive ce coup de massue de la cessation d’activité professionnelle.
Quels sont les bienfaits spécifiques des liens intergénérationnels pour la mémoire ?
Tout ce qui ressemble à la « vraie vie » où l’on fréquente des personnes de tous milieux et de toutes générations, est à recommander. Ce n’est parce qu’on est plus âgé qu’on doit vivre dans une bulle en ne côtoyant que des personnes de son âge. En outre, cela renforcerait encore le stéréotype de la personne âgée auprès des personnes concernées, alors qu’on sait à présent que se rajeunir de 10 ans tout au long de sa vie est un signe de bonne santé !

Pour en Savoir plus

Livre « Ma mémoire et les autres », Francis Eustache et coll., Le Pommier, 2017.  
Chapitre 3, « L’influence des interactions et des stéréotypes sociaux », Hélène Amieva.

Dufouil C, Pereira E, Chêne G, et al. Older age at retirement is associated with decreased risk of dementia. Eur J Epidemiol. 2014;29(5):353-61.

Grotz C, Meillon C, Amieva H, et al. Why Is Later Age at Retirement Beneficial for Cognition? Results from a French Population-based Study. J Nutr Health Aging. 2016;20(5):514-9.