Mémoire et autisme, des liens particuliers : vers une piste de traitement ?
Touchant entre 0,5% et 1% de la population, dont une grande majorité sont des garçons, l’autisme entraîne des troubles qui perturbent la vie et l’intégration dans la société. Le Professeur Jean-Marc Baleyte, Professeur de Pédopsychiatrie au CHI Créteil, accompagne du plus jeune âge à la vie adulte des enfants qui vivent avec un « trouble du spectre autistique ». Il nous explique en quoi travailler sur leur mémoire ouvre des perspectives de traitement.


Jean-Marc
Baleyte
Qu’est-ce que l’autisme en quelques mots ?
C’est un trouble du neurodéveloppement que l’on observe souvent dès le plus jeune âge et qui se manifeste notamment par des difficultés à interagir avec les autres. Chez certains enfants avec autisme, les compétences de communication sociale apparaissent en retard et ce retard peut être repéré dès l’âge de 12 à 18 mois. Chez d’autres, ces compétences régressent après une période initiale d’acquisition. Ces enfants peuvent éviter le contact, ils ne se lovent pas dans les bras ou ne recherchent pas le regard communicatif.
L’enjeu majeur est de repérer précocement ces troubles et de les distinguer d’autres conditions médicales afin de pouvoir intervenir au plus tôt, dès 18 mois et a fortiori, avant l’âge de trois ans. En effet, il est crucial de ne pas laisser l’enfant s’isoler ; il faut au contraire aller le chercher, l’aider à interagir et à développer sa compréhension des émotions, pour nourrir le lien avec sa famille et tirer au mieux parti de l’extraordinaire plasticité du cerveau à cet âge. Les parents risqueraient de penser que le comportement de leur enfant est normal ou décalé dans le temps, et leurs inquiétudes peuvent ne pas être entendues, d’où l’importance de sensibiliser tous les acteurs de première ligne de de la petite enfance et accompagner les parents pour qu’ils stimulent au mieux leur enfant en repérant sa disponibilité. L’autisme peut être associé à d’autres troubles du neurodéveloppement, qui doivent aussi être pris en considération.
Quels sont les liens entre mémoire et autisme ?
L’autisme n’est pas une maladie de la mémoire. En revanche, la mémoire est un carrefour qui mobilise l’ensemble des fonctions cérébrales, une fenêtre ouverte sur la pensée et l’identité. Elle permet de se référer à des moments fondateurs de sa vie avec une richesse d’évocation, en associant sens, émotions, mémoire des lieux et du temps. Dans l’autisme, ces associations qui constituent la mémoire autobiographique sont altérées et cela a des conséquences sur la construction de l’identité de la personne.
Quelles sont les particularités de la mémoire des personnes autistes ?
La mémoire dans l’autisme est construite par morceaux, un peu à l’emporte-pièces, comme des mémoires partielles. Les souvenirs peuvent correspondre à des sensations exacerbées (une lumière, un bruit, une phrase), sans la richesse contextuelle qui permet de les resituer dans le temps et le lieu. En outre, l’absence de contexte qui détermine le sens empêche d’attribuer à chaque évènement une importance plus ou moins grande dans le récit de sa vie.
En revanche, la mémoire sémantique est souvent mieux conservée ; chez certains, est observée une mémoire photographique qui reproduit de manière littérale les sensorialités ou les connaissances apprises. Cela résulte à la fois d’intérêts restreints à certains sujets (comme des horaires de train), de facultés sensorielles exceptionnelles, comme certains jeunes qui ont l’oreille absolue ou un jeune artiste capable de redessiner de mémoire tous les détails d’une ville qu’il a juste survolée*… Ce sont des performances que l’on voit notamment chez les personnes avec autisme « Asperger », c’est-à-dire sans déficience intellectuelle associée.
Quelles sont les pistes de prise en charge ?
Pour des jeunes avec syndrome d’Asperger, nous proposons des groupes de travail sur les habiletés sociales. Le travail sur la mémoire autobiographique est un outil précieux car essayer de rappeler des souvenirs en retrouvant toutes leurs dimensions peut permettre à ces jeunes de retrouver la richesse et le sens de leur mémoire et de la communiquer. Ensuite, apprendre à partager leurs souvenirs à travers des mots ou des images peut les aider à rompre l’isolement qu’ils éprouvent parfois, par exemple dans leur famille, où ils n’ont pas mémorisé de la même manière les évènements communs qui constituent l’identité familiale.
Enfin, il est essentiel d’éviter le décrochage scolaire en aidant les jeunes à décrypter les demandes implicites des consignes et en sensibilisant les enseignants aux particularités de l’autisme.
En définitive, se donner les moyens d’inclure ces jeunes - et plus largement les personnes porteuses de handicap - dans la société constitue une éducation à la différence et une formidable richesse pour tous, en termes d’ouverture et de créativité. Si l’on veut s’en convaincre, il suffit de regarder l’exemple de la Finlande qui a développé depuis des années des classes avec pédagogie différenciée et qui a vu émerger des Prix Nobel en grand nombre !
En savoir plus
PACT est une intervention précoce dès l'âge de 2 ans pour aider les parents à communiquer avec leur enfant autiste
Gras-Vincendon A, et al. Encephale. 2008 ;34(6):550-6.
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