Printemps des poètes 2022 : éphémère et neurones du temps !
Catherine Thomas-Antérion, neurologue passionnée d'art et membre du Conseil scientifique de l'Observatoire B2V des Mémoires nous démontre comment l’écriture poétique entretient des rapports particuliers avec la mémoire.

Le thème du Printemps des poètes 2022 est le beau mot Ephémère. Il va bien à la poésie dont l’art est de saisir un instant teinté de sa richesse perceptive et émotive. L’écriture poétique entretient des rapports particuliers avec la mémoire. La versification favorise sa mémorisation. Presque toujours, le poème fixe un instant et permet comme la récupération d’un souvenir, un voyage mental [1] dans le passé ou une projection dans le futur : Demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends. J’irai par la forêt, j’irai par la montagne (Victor Hugo).
La mémoire épisodique se construit autour du quoi, du comment (quelle intensité), du où et du quand. Le temps est tout autant, l’instant marquant un événement, une période de temps ou la durée d’un épisode de vie.
William James [2] évaluait que nous sommes capables d’évaluer le temps qui passe à la manière d’un fleuve qui coule, par le ressenti des battements cardiaques ou le rythme des syllabes, mots ou phrases entendues, pour les durées courtes. En quelque sorte l’éphémère se mesure et s’éprouve physiquement. La perception du temps « plus prolongé » est quant à elle, largement subjective. Elle dépend de comment nous remplissons le temps au delà de quelques secondes, par des pensées, des actions et l’intensité du voyage mental dans notre mémoire. James souligne la perception subjective différente du temps, selon l’âge, l’humeur, l’ennui ou au contraire, les journées très denses. « En général, un temps rempli d’expériences variées et intéressantes semble court à vivre, mais rétrospectivement long. Par ailleurs, une étendue de temps vide d’expérience semble longue à passer, mais paraît rétrospectivement courte ».
Le Prix Nobel de physiologie en 2014 a été attribué à John O’Keefe et au couple May-Britt et Edvard Moser pour la découverte des neurones de lieu qui dans l’hippocampe s’activent sélectivement lors des déplacements. La découverte datait de 1971 avec les travaux de John O’Keefe réalisant des enregistrements neuronaux avec des micro-électrodes dans le cerveau de rats. En 2005, le couple Moser a complété ceux-ci en découvrant des neurones codant des coordonnées spatiales : « les cellules de grille » situées dans le cortex entorhinal connecté à l’hippocampe. Ces travaux menés chez l’animal ont été ensuite validés chez des patients épileptiques implantés.
Le contexte spatio-temporel dans l’écriture poétique contient souvent par la musicalité et la puissance de l’image mentale, les indices émotionnels. Il en va ainsi du : Quand reverrai-je hélas, de mon petit village-Fumer la cheminée, et en quelle saison- Reverrais-je le clos de ma pauvre maison, -Qui m’est une province et beaucoup davantage ? de Joachim du Bellay dont on fête le 700 ème anniversaire de naissance en 2022….
Une journée vit
L’éphémère ; un instant
Fait le souvenir
Si les neurones de lieu sont connus depuis un demi siècle, les neurones du temps ont été individualisés dans l’hippocampe des rats, il y a une dizaine d’années seulement [3]. Encore plus récemment, des scientifiques ont été capables en 2021 d’enregistrer à l’aide de microélectrodes implantées dans le cerveau humain des neurones isolés de l’hippocampe (429 et 96 selon les expériences : il faut, à sa juste mesure, apprécier l’extraordinaire minutie et précision de ces travaux). L’étude a été menée auprès de 15 patients épileptiques dont la maladie nécessitait un enregistrement cortical et de ce fait l’implantation des électrodes. L’expérience consistait à apprendre l’ordre d’apparition de 5 à 7 images avec des séquences interrompues par un carré noir avec alors la consigne de reconnaître parmi deux, l’image à venir dans la séquence et d’autres séquences interrompues par une pause de 10s sans consigne particulière à exécuter. Les chercheurs ont mis en évidence que certaines cellules de l’hippocampe sont dévolues au codage temporel au fur et à mesure que les patients progressent dans une séquence ou dans la période d’attente de la séquence à venir. Certaines « cellules temporelles » codent aussi des informations sensorielles concernant les stimuli (présent/absent ; identité perceptive). En quelque sorte dans l’hippocampe, s’encode le temps qui s’écoule…
Le modèle du voyage mental qui permet la continuité des pensées du passé vers les intentions à venir du philosophe John Locke (1632-1704) puis qui pour le neuropsychologue Endel Tulving (1927), permet d’accéder aux évènements passés et de projeter des intentions pour le futur est ainsi peu à peu validé par des travaux neuroscientifiques d’exception, du fait de l’évolution des techniques, permettant une meilleure compréhension du fonctionnement biologique de la mémoire humaine.
Gageons que la connaissance en ce domaine n’a pas fini de nous fasciner même si la lecture des articles scientifiques devient de plus en plus complexe pour le profane.
Et concluons ce propos en faisant le pari, que l’éphémère suscitera beaucoup de création poétique à l’arrivée du printemps…
Ô temps, suspends ton vol, et vous heures propices, suspendez votre cours (Alphonse de Lamartine).
Notes
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