Impact de la pandémie de Covid-19 sur le déclin cognitif des seniors

Durant la pandémie de Covid-19, les mesures d’isolement et de confinement ont bouleversé nos modes de vies et nos habitudes. Comment les seniors ont-ils traversé cette période ? Hélène Amieva, épidémiologiste et membre du Conseil scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires, travaille avec une cohorte de personnes âgées de 80 ans et plus dans la région de Bordeaux. Elle relate les résultats de deux études sur le ressenti moral des personnes âgées pendant le 1er confinement et leur éventuel déclin cognitif 3 mois après.

Publié le 14.04.2022
Impact de la pandémie de Covid-19 sur les seniors
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Hélène Amieva

Hélène
Amieva

MEMBRE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L’OBSERVATOIRE B2V DES MÉMOIRES
Quel a été l’impact du confinement sur le moral des personnes âgées ?
Devant le caractère inédit de cette situation, notre équipe, qui étudie les changements du fonctionnement psychologique et cognitif au cours du vieillissement, a lancé une étude dès le premier confinement. Nous avons réalisé des entretiens téléphoniques de 935 personnes de la cohorte que nous suivions régulièrement pour savoir comment elles vivaient ce confinement. Les réponses que nous avons obtenues nous ont surpris. Chez ces personnes de plus de 80 ans, qui vivaient à domicile pour la plupart et seules pour environ la moitié, à la question, « quelle est la principale difficulté que vous rencontrez ? », la réponse la plus fréquemment donnée était « aucune » !
En utilisant une échelle d’anxiété, on observait une légère augmentation – normale dans cette situation - mais sans flambée. Et aux questions évaluant la dépression, la majorité des réponses (60-70%) données étaient négatives : « non, je ne me sens pas plus triste, ni plus déprimé, ni plus seul que d’habitude ».
Nos résultats concordaient avec ceux des publications internationales, qui montraient des taux d’anxiété et dépression moins élevés chez les sujets âgés que chez les jeunes.
Ce vécu non catastrophique ne s’expliquait pas par une déconnexion de l’information et des médias, car les personnes étaient bien informées et appréciaient suffisamment la gravité de la situation. En revanche, elles ont mis en place très rapidement des stratégies d’adaptation (« coping ») pour faire face et s’occuper au quotidien et prenaient du recul, expliquant « Vous savez, on a l’habitude, on en a vu d’autres, on s’inquiète surtout pour les jeunes ».
Y a-t-il eu un impact sur les capacités cognitives ?
En dépit de cette attitude « résiliente » des personnes âgées, nous avons voulu intégrer une mesure de la cognition dans notre étude, car il est bien établi que la stimulation sociale est l’une des principales sources de stimulation cognitive (voir article sur l’impact de la retraite sur la mémoire).
Nous avons procédé à une deuxième vague d’entretiens téléphoniques 3 mois après le premier confinement, en utilisant un test (le TICS), conçu pour permettre une évaluation cognitive par téléphone. Nous avons extrait 11 items parfaitement identiques entre ce test et les tests réalisés précédemment en « présentiel » et modélisé l’évolution au cours du temps des capacités cognitives.
Le déclin cognitif, qui était très lent et progressif en absence de pathologie, montrait une cassure spectaculaire, avec une chute de près de 2 points sur 11 (- 18%) avec la pandémie. Ainsi, les mois passants, la restriction des interactions sociales et des activités a entrainé une diminution de la stimulation cognitive et un déclin cognitif.
Ce déclin sera-t-il réversible ? Pour le savoir, nous avons répété ces tests un an après et allons analyser les résultats. Trois scénarii sont possibles : le déclin peut soit continuer, soit s’arrêter sans que le niveau cognitif antérieur soit retrouvé ou, dans le meilleur des cas, se corriger avec la reprise d’une vie quasi-normale.
Quelles étaient les fonctions cognitives que vous avez mesurées ?
Les questions portaient sur l’orientation temporelle (date, saison), spatiale (adresse postale), sur l’attention et la mémoire de travail (retenir une liste de mots, calcul mental).
Précisons que nos résultats correspondent à une moyenne. Bien sûr, la population âgée est hétérogène et les personnes déjà en souffrance, anxieuses, déprimées ont probablement très mal vécu cette période, de même que les personnes qui avaient des troubles cognitifs ou un début de démence ont décliné beaucoup plus.
Quelles seraient les pistes pour prévenir ce déclin ?
Le premier enseignement serait de ne pas s’arrêter aux déclarations que « tout va bien, ne vous inquiétez pas… » car les personnes âgées peuvent avoir tendance à minimiser leurs difficultés, et pourtant, elles en ont.
Les mairies, qui ont recensé les personnes âgées vivant seules, pourraient les appeler, comme cela a été fait dans certaines villes. Par ailleurs, dans notre échantillon de personnes très âgées (87 ans en moyenne), quasiment 30% avait eu recours à une technologie numérique, smartphone ou autre. Il ne s’agissait pas seulement de personnes de haut niveau d’études et toutes ont dit à quel point ça avait constitué un soutien, en permettant de maintenir un lien social. Cette crise a montré que les personnes âgées ont, pour la plupart, les moyens cognitifs pour s’approprier les nouvelles technologies - avec de l’aide pour ne pas être bloquées par de petits incidents techniques - et qu’elles le font lorsqu’elles en voient l’utilité.
Nous pourrions mettre les bouchées doubles sur la démocratisation de ces outils simples de communication, mener des campagnes de sensibilisation et de formation, y compris à domicile chez les plus isolés. Cela permettrait en outre d’augmenter l’estime de soi de nos aînés, se voyant compétents pour utiliser les technologies actuelles et contribuerait à changer notre regard sur eux.

Pour en savoir plus

Les deux études rapportées ici :

Helene Amieva et al.,
Older People Facing the Crisis of COVID-19: Between Fragility and Resilience
J Frailty Aging 2021;10(2):184-186.
Helene Amieva et al.,
Longitudinal Study of Cognitive Decline before and after the COVID-19 Pandemic: Evidence from the PA-COVID Survey.
Dement Geriatr Cogn Disord 2022 Feb 16;1-7. doi: 10.1159/000521999.