Comment les « fake news » s'impriment-elles dans nos mémoires ?

Si les infox ou « fake news » ont toujours existé, comme nous le rappelle Jean-Gabriel Ganascia, spécialiste de l'intelligence artificielle, ex-Président du comité d'éthique du CNRS, président du comité d’orientation du CHEC (Cycle des Hautes Études de la Culture) et membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire B2V des mémoires, elles ont pris une ampleur particulière ces dernières années, avec l’avènement des réseaux sociaux et des techniques de « deep fake ». En quoi ces fausses informations impriment-elles leurs marques dans nos mémoires collectives et individuelles ?

Publié le 20.05.2022
Mémoire individuelle et collective et infox
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JEAN-GABRIEL GANASCIA

JEAN-GABRIEL GANASCIA

MEMBRE DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L’OBSERVATOIRE B2V DES MÉMOIRES
Qu’est-ce qui caractérise les « fake news »?
Les « infox » (ou ce que l’on appelle les « fake news » aux États-Unis) sont des informations fausses transmises dans l’intention délibérée de tromper. C’est une pratique qui commence très tôt avec les libelles¹, les rumeurs et la « propagande ». Dans ce dernier cas, ce sont des États qui tentent de forger l’imaginaire collectif. Au XXe siècle, les USA ont joué un rôle central dans leur théorisation. Des philosophes comme Walter Lippmann ont réfléchi à la façon de « fabriquer le consentement » public à l’aide notamment de stéréotypes sociaux et d’images subliminales. Edward Bernays, le neveu de Sigmund Freud, a utilisé ces techniques à des fins de manipulation de l’opinion publique grâce aux media de masse.
Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans ce phénomène ?
Avec l’avènement des réseaux sociaux, les « fake news » ne sont plus tant diffusées par des États voulant forger une vision unique, mais par de très petites communautés avec des perspectives particulières, ce qui aboutit à une mémoire collective émiettée et une société fragmentée. Nous sommes passés de la rareté de l’information et d’un pouvoir central qui la monopolisait à des « bulles informationnelles » qui enferment les individus dans leur univers, chacun recevant l’information qui le satisfait grâce à un « profilage » réalisé à l’aide de l’intelligence artificielle. S’il y avait une violence dans le fait de vouloir imposer une vision unique, il y en a également une à présent dans une société éclatée, où plus personne ne se comprend.
Quelles sont les particularités des « fake news » actuelles ?
Les ressorts sous-jacents à la diffusion des infox tiennent à la saturation de l’attention dans un univers de surinformation. Les algorithmes des réseaux sociaux ne censurent pas, mais ils promeuvent les contenus les plus radicaux qui font écran aux autres informations. Les messages frappants qui ont un caractère émotionnel marqué, et notamment ceux qui expriment de la colère, comme l’a expliqué la lanceuse d’alerte Frances Haugen, sont avantagés par les réseaux sociaux, car ils suscitent des réactions vives, ce qui accroît le flux. En outre, il est désormais possible de fabriquer des « deep fake », ces vidéos truquées permettant de faire prononcer un faux discours par quelqu'un, y compris des personnalités politiques, ce qui amplifie les possibilités d’étonner le public et, là encore de susciter de vives réactions.

A lire aussi

Épidémie d’infox : des « gestes barrières » numériques à adopter aussi, D. Frau-Meigs, The Conversation, 1er Avril 2020
A l’attention des jeunes, un numéro spécial de GEO Ado consacré aux Fake News - mars 2021
Sommes-nous vulnérables aux « fake news » ?
L’essor des infox est d’autant plus préoccupant qu’un démenti ne permettra pas d’effacer de toutes les mémoires le souvenir de la fausse information, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un contenu visuel ou répété. De plus, certaines « légendes » seront même renforcées par des tentatives de démenti, comme on a pu le voir lors de la crise du COVID. D’où la nécessité de détecter les fausses informations en amont, avant leur encodage dans nos mémoires.
Que peut-on faire pour s’en prémunir ?
A côté de l’éducation à la démarche scientifique — plus qu’au seul sens critique — il est nécessaire de réguler les réseaux sociaux. Cela vient d’être fait au niveau Européen par l’adoption le 22 Avril 2022 d’une législation sur les services numériques, le DSA (Digital Services Act), un nouveau règlement qui vise à accentuer la répression de certaines dérives sur Internet. On peut recommander également la consultation des sites de vérification des faits (« fact-checking ») lorsqu’une information nous paraît surprenante ou suspecte, en particulier avant de la transmettre ou d’en parler à d’autres.

Publications scientifiques

Quelles nouvelles responsabilités pour les chercheurs à l’heure des débats sur la post-vérité ?
Avis n°2018-37 du comité d’éthique du CNRS, le COMETS, 2019
Pascal Huguet. Éléments de Psychologie des “ Fake News ”, in L’information d’actualité au prisme des fake news de Maud Pélissier et Alexandre Joux, L’harmattan, 2018, pp.201-222.

Sites de vérification des faits, "fact-checking"

Les décodeurs par Le Monde
Checknews par Libération
Factuel par l'Agence France-Presse

En savoir plus

Législation sur les services numériques, le DSA (Digital Services Act)

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Sites de ressources pédagogiques

Notes

Petit écrit diffamatoire ou injurieux