La dépression peut-elle entrainer une perte de mémoire ?
A l’occasion de la Journée Européenne de la dépression, l’Observatoire B2V des Mémoires s’est penché sur les liens existants entre la mémoire et la dépression. Cette dernière peut-elle entrainer une perte de la mémoire ? Peut-elle être « réparée » une fois l’épisode dépressif terminé ? A-t-on assez de recul pour connaître l’impact de la pandémie sur notre cerveau ? Francis Eustache, Neuropsychologue, Président du Conseil Scientifique de l’Observatoire B2V des mémoires, et Catherine Thomas-Antérion, Neurologue et Docteur en neuropsychologie, et membre du Conseil scientifique de l’Observatoire B2V des mémoires, ont décidé de nous éclairer sur ces questions.

La dépression n’est pas en tant que telle une maladie de la mémoire. Toutefois la modification du moral peut modifier le fonctionnement de la mémoire (saisie et récupération des souvenirs), gêner la concentration et entrainer un ralentissement idéomoteur. De plus, les insomnies modifient la qualité de la consolidation des souvenirs qui n’est plus renforcée pendant le sommeil. Ce dysfonctionnement est très différent de la maladie d’Alzheimer qui en altèrant des éléments anatomiques du circuit de la mémoire conduit le malade à oublier des pans entiers de sa vie (souvenirs anciens), à être dans l’incapacité d’enregistrer de nouvelles informations et enfin à ne plus se projeter dans le futur (se rappeler par exemple ce qu’il doit faire le lendemain).
Le dépressif a des difficultés à se rappeler spontanément les informations. Dans les tests de mémoire, cela correspond aux conditions de rappel libre ou d’évocation spontanée. C’est un problème fonctionnel d’accès qui peut être amélioré avec des indices (le mot recherché est celui d’un animal) et dans la vie par le contexte ou un peu d’aide (retrouver le papier sur lequel on a marqué l’heure du RV). Au contraire, les indices aident peu ou pas le malade souffrant de maladie d’Alzheimer.
De plus le contenu des souvenirs peut être modifié par les idées noires et ceux-ci, à leur tour, envahissent les pensées du dépressif entrainant un cercle vicieux et aggravant le moral. La distorsion de la perception du temps et notamment la projection dans le futur avec l’impression d’un temps qui s’accélère est aussi souvent rapporté. Les souvenirs épisodiques biographiques sont rares, émoussés et « sur-généralisés », le dépressif replié sur lui-même est envahi par des émotions négatives où prédomine la tristesse.
Ces observations sont faites dans le cadre de la recherche sur des groupes de patients. Les examens d’imagerie n’ont pas d’intérêt dans le suivi d’un dépressif : l’IRM est normale (pas de lésion de structure) et au niveau individuel, les variations de métabolisme sont peu significatives contrairement à la maladie d’Alzheimer, où les examens d’imagerie cérébrale structurale (recherche d’une atrophie) et fonctionnelle (hypométabolisme) contribuent au diagnostic. La dépression guérie, le fonctionnement de la mémoire est rétabli (comme le sommeil, l’appétit etc.) mais il peut demeurer une pauvreté des souvenirs biographiques collectés pendant cette période avec un excès de souvenirs tristes.
Les Recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) rédigées par un collège d’experts (2017) indique qu’une psychothérapie de soutien réalisée y compris par le médecin généraliste est proposée sans recours au médicament uniquement en cas de dépression modérée. Une évaluation à 4 ou 8 semaines pour revoir la nécessité d’introduire ou non un traitement médicamenteux, selon l’efficacité, est impérative. Un accompagnement insuffisamment efficace ou bien sûr une dépression sévère nécessite un médicament antidépresseur que l’on doit toujours accompagner d’une psychothérapie et autant que possible d’un accompagnement de l’entourage. Le traitement antidépresseur est choisi en fonction : 1/ du malade, 2/ des symptômes et toujours dans l’alliance médecin-malade. Ces traitements en respectant les règles de prescription ont peu d’effets secondaires cognitifs et le plus souvent les personnes témoignent en retrouvant sommeil, élan vital et en diminuant les idées sombres, observer d’elle-même un meilleur fonctionnement.
On observe aussi le développement de phobie sociale (isolement et évitement) et des réveils de traumatismes antérieurs. Il est important de suivre les enquêtes à venir menées par Santé publique France pour estimer les effets durables et ce notamment dans le contexte du conflit entre Russie et Ukraine qui perturbe souvent le sommeil et aggrave l’anxiété (angoisse nucléaire, crise de l’énergie, troisième guerre mondiale). L’augmentation des addictions est enfin un fait très inquiétant et un élément de vulnérabilité de plus à la dépression.