Astérix et Amnésix : le curieux spécialiste de la mémoire et la curieuse amnésie de Panoramix !
Catherine Thomas-Antérion, neurologue et docteur en neuropsychologie se penche sur le 7ème volume de René Goscinny et Albert Uderzo consacré à la mémoire qui montre toute l’acuité de création de ce duo : "Le Combat des chefs" de 1966.
Amnésix, un druide guérisseur dont on appréciera qu’il ait le même patronyme en allemand ou en espagnol et dans quantité de langues, mais qu’il se dénomme Psychoanalytix en anglais et nous ignorons pourquoi, est requis pour soigner l’amnésie de Panoramix. Amnésix a dans sa hutte professionnelle un divan et semble recevoir une patientèle hétéroclite, avec des troubles plutôt psychologiques comme cet homme ayant la phobie que le ciel lui tombe sur la tête.
Neurologie et psychiatrie, deux disciplines distinctes mais complémentaires
En France, la neuropsychiatrie a été une spécialité médicale jusqu’en 1969, les spécialités de neurologie et de psychiatrie devenant alors bien distinctes dans la forme et les situations soignantes même si les médecins soignent sur le fond, des pathologies touchant le même organe (cerveau). Dans cette aventure, on voit tout autant Amnésix perplexe face à l’amnésie de Panoramix que devant les rondeurs d’Obélix, cherchant même quelque soubassement psychique à cette obésité : « vous avez le sentiment d’être gros, et ça vous rend malade… ». En 1969, suite au décret définissant le champ des deux spécialités, le professeur J.Delay, médecin et écrivain, académicien, professeur de clinique des maladies mentales et de l'encéphale (Paris), président du Collège national universitaire de psychiatrie, appela de ses vœux que « la psychiatrie ne soit pas grisée par son indépendance nouvelle, et ne s'éloigne pas des sciences fondamentales qui constituent, pour une part essentielle, sa substance et son avenir, pour se cantonner exclusivement dans la citadelle si fréquemment ésotérique des sciences humaines. » En 2023, neurologues et psychiatres se rapprochent, beaucoup de psychiatres parlent cerveau, échangent volontiers avec les neurologues et réciproquement bien que et justement parce que chacun a des champs de compétence distincts et de ce fait complémentaires. Les connaissances neuroscientifiques découvrent des causes biologiques communes à des maladies psychiatriques et neurologiques aux phénotypes bien différents (par exemple : mutation génétique C9ORF72 chez des patients schizophrènes, ayant une dégénérescence fronto-temporale ou une sclérose latérale amyotrophique) ce qui participe aux chevauchements des diagnostics et des exercices.
Différentes formes d'amnésie
Le neurologue qui visite des amnésiques ne doit pas se contenter d’étudier la mémoire mais savoir aussi examiner le comportement. L’aventure vécue par Panoramix l’illustre bien. Ce médecin connaît les causes organiques des amnésies (les causes lésionnelles : vasculaire, métabolique, infectieuse, inflammatoire, dégénérative, traumatique, etc.) et les causes fonctionnelles, de nature psychogène (amnésie dissociative, amnésie du stress post traumatique, etc.). L’aventure de nos gaulois parle de « démence » au sens plein du mot : de mens, hors de l’esprit, état qui peut être celui d’une personne amnésique ayant perdu ses souvenirs biographiques ou ses savoirs ou d’une personne ayant un rapport psychique anormal à la réalité : la sienne et celle du monde, comme par exemple entendre des voix. Ces dernières années, ce terme issu de la neuropsychiatrie du XIXème siècle, très connoté, a tendance à être abandonné en neurologie, pas toujours des classifications des maladies car il est suffisamment global pour réunir beaucoup de situations sans guère d’équivalent mais le plus possible dans les échanges avec les malades et leurs familles.

Dans cette aventure, Panoramix se fait enlever par les roublards romains ; Astérix et Obélix interviennent à temps pour le délivrer. Un menhir lancé par Obélix tombe sur la tête de Panoramix qui devient amnésique et développe des troubles comportementaux. Ceci nous rappelle qu’un traumatisme crânien (mais peut-être pas un coup de menhir qui tue à coup sûr) peut entrainer chez le même patient des troubles d’attention, de mémoire : récupération des souvenirs passés et enregistrement de nouveaux souvenirs et des troubles du comportement [1]. Les lésions des traumatismes crâniens notamment les contusions et les séquelles hémorragiques intracérébrales concernent le plus souvent les régions antérieures du cerveau dont le lobe frontal.
La partie dorsale soutient les fonctions exécutives : planification, résolution de problèmes et pour la mémoire la saisie d’informations utile à la consolidation des souvenirs et la récupération des souvenirs déjà consolidés et la partie orbito-frontale, la cognition sociale et la gestion des émotions. Ici Panoramix n’a aucun souvenir de la potion magique et semble fixer de façon floue le quotidien qui l’entoure. Il est euphorique, ansognosique de son état et de la catastrophe qu’est la perte de la recette de la potion. Il est actif et même hyperactif, multipliant les essais de préparations dans des chaudrons ! Il développe une forme de comportement d’imitation face à Amnésix venu à son secours et subissant le même sort ! Parfois le traumatisme entraine « un handicap invisible » car le changement de caractère peut être difficile à évaluer en dehors de l’observation de la vraie vie de la victime : ici Panoramix a l’air de parler et raisonner mais l’observer au fourneau démontre son handicap.
L'effet de la madeleine ou de la mémoire involontaire pour récupérer sa mémoire ?
Dans cette histoire, le mimétisme clinique de Panoramix et Amnésix est du reste suspect… et peut suggérer des troubles fonctionnels et un phénomène « d’hystérie collective ». L’euphorie commune pourrait être théâtrale et les symptômes non conscients ou qui sait les deux druides joueraient aux fous ce qui est peu probable car la simulation prolongée très difficile… La récupération de la mémoire de Panoramix après avoir bu un breuvage de son cru pose du reste la question « de la récupération spectaculaire » par levée de l’inhibition sur la mémoire, lors « d’un traumatisme psychique ». Voir un ami jeter sur son front un menhir pourrait être un équivalent d’agression et de stress traumatique générant une dissociation (un changement d’état de conscience) et une amnésie de l’épisode (clivage et protection) entrainant une amnésie plus large. Luchelli et al. 1995 [2] évoquaient pour désigner cette récupération spectaculaire, l’effet de la madeleine ou de la mémoire involontaire. Les auteurs rapportaient le cas de deux patients dont l’un d’entre eux, MM, victime d’un traumatisme crânien bénin et d’une amnésie, récupéra « tout son passé perdu » pendant un match de tennis, expérimentant la reviviscence d’un match précédent débloquant l’ensemble des souvenirs. On n’est pas très loin de cela car Panoramix touille sa soupe magique dans des gestes faits des milliers de fois… La levée d’inhibition pourrait n’être pas tant due au bouillon, qu’au geste de la cuillère et à un moment où la récupération est « possible », biologiquement parlant ou psychologiquement parlant (capacité psychique à accepter que son ami Obélix ne l’ait pas agressé volontairement…).
Enfin l’aventure rend humble le neurologue et rappelle que tout n’a pas une explication univoque et matérialiste. Panoramix est plus proche de l’apothicaire et du médecin que du gourou bonimenteur qu’est Prolix qui apparaît dans la version cinématographique Le coup de menhir (1989). Il n’a rien à vendre, manie la psychologie (on voit combien il rappelle régulièrement avec tact à Obélix qu’il ne doit pas boire la potion dans laquelle il est tombé petit), étudie les situations dans leur contexte, pose des diagnostics, œuvre pour le bien commun (taper sur les romains) et individuel. Il participe régulièrement à des congrès de druides pour parfaire sa formation continue et a une mémoire sémantique riche de savoirs !
Notes
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