Mémoire numérique - Tous traqués sur les réseaux ?
Achats en ligne, tweets, réseaux sociaux, courriels, géolocalisation, blogs, cookies… Toutes nos actions sur la toile laissent des traces dans le cyberespace, constituant désormais une sorte de "mémoire collective". Mais quelle est la nature de ces traces? Qui les exploite et à quelles fins ? Peut-on les effacer ?


Le point de vue de notre spécialiste de l'intelligence artificielle
Jean-Gabriel
Ganascia
Dès que nous mettons un pied dans le cyberespace, nous y laissons des traces. Mais elles ne sont pas toutes de la même nature. Les plus évidentes sont bien sûr celles qu'on laisse volontairement : en publiant sur les réseaux sociaux tel Facebook, en postant des gazouillis sur Twitter... ou bien encore en écrivant sur son blog.
S'y ajoutent désormais toutes les images, sons et autres données de notre vie quotidienne captés par une myriade d'appareils portables connectables au web : bracelets enregistreurs d'activité physique en temps réel, montres connectées, Google Glass... Les experts parlent carrément de "mémoire de vie", Lifelog en anglais.
Des traces plus ou moins conscientes
Mais sur les réseaux, nous laissons aussi des traces systématiques pas forcément conscientes. C'est le cas lorsqu'on paye avec notre carte bancaire, qu'on passe le tourniquet du métro parisien grâce au Pass Navigo... ou bien encore un péage autoroutier sans s'arrêter via la file "abonnés".
Pire, certaines traces sont souvent complètement inconscientes. Ainsi, la simple navigation sur des sites web laisse des traces : les fameux "cookies" qui enregistrent nos actions, nos préférences et notre comportement en ligne. Il faut aussi savoir que Google stocke systématiquement toutes les requêtes que nous saisissons dans son moteur de recherche !
Mais juste appeler quelqu'un avec son téléphone portable laisse aussi des traces; en effet, les entêtes de tous les coups de fil que nous passons sont stockées dans des bases de données et pire, le simple fait d'allumer notre smartphone nous rend géolocalisables. Encore plus inattendu, un simple fichier de traitement de texte de type Word peut révéler l'ordinateur qui a été utilisé pour le créer, la version du logiciel... mais aussi toutes les opérations que l'on a opérées sur le texte !
Bref, nous vivons dans des sociétés de plus en plus tracées. Et avec le déluge de données numériques actuellement à l'œuvre, le phénomène n'est pas prêt de s'arrêter. Rien qu’un exemple : chaque jour, le réseau social Twitter génère 7 nouveaux « téraoctets » de textes, soit la moitié du contenu de toute la Bibliothèque Nationale de France !
De nombreux acteurs exploitent nos traces numériques
Voilà pourquoi se développent de nombreux outils informatiques dits de "Big Data", capables de faire le tri et de tirer parti de cette avalanche incessante et rapide de données. Car de nombreux acteurs tentent d'exploiter cette multitude de traces numériques.
Des sociétés privées tout d'abord, au premier rang desquels on retrouve les fameux "GAFA" : Google, Amazon, Facebook et Apple. Car toute une nouvelle économie basée sur l'identification des caractéristiques des individus est en train de se développer, c'est "l'économie du profilage". Par exemple, Google utilise le contenu de nos requêtes pour générer des publicités ciblées. Ainsi, qu'on vienne à saisir "lunettes de soleil" sur son moteur de recherche et des publicités pour des lunettes de soleil s'affichent très vite sur nos écrans ! Aujourd'hui, ces publicités ciblées se développent à grand pas sur le web, et même sur nos télévisions désormais connectées...
Les gouvernements aussi surveillent nos traces numériques, comme en témoigne le fameux programme américain de surveillance "PRISM" révélé par Edward Snowden. Pour résumer, PRISM permettait notamment d'aspirer les données transitant par certains câbles sous-marins (mails, conversations téléphoniques...), et de récupérer des données personnelles de clients de géants du web : Skype, Microsoft, Facebook, Yahoo, Apple, Google, YouTube, etc. !
De la surveillance à la sousveillance

Mais le réel danger n'est désormais plus tant celui d"une surveillance par l'Etat type "Big Brother", que celui d'une "sousveillance". Derrière ce terme se cache en fait le concept selon lequel, grâce à toutes ces nouvelles technologies à la portée de tous, chacun d'entre nous est désormais en mesure de surveiller ses concitoyens... Bref, une surveillance qui ne viendrait pas d'au-dessus, d'une autorité supérieure (Etat, Institution...)... mais d'en dessous, de la base de la société. Enfin, les traces laissées sur les réseaux peuvent aussi être récupérées par des hacktivistes tels les Anonymous, mais aussi par des mouvements mafieux.
Impossible d'effacer toutes nos traces... que faire ?
Ne plus utiliser Internet semble difficile voire impossible dans le monde actuel : il faut bien vivre avec son temps ! On peut toutefois anonymiser certaines données, comme par exemple c'est déjà le cas avec les données médicales personnelles exploitées pour des études scientifiques. Mais cette anonymisation présente des limites car, en croisant diverses bases de données, il est parfois possible de retrouver l'identité de l'auteur de données. Ainsi, avec la multiplication des bases de données en cours, cette anonymisation sera de plus en plus difficile.
Toutefois, certaines sociétés commerciales proposent de faire déréférencer certaines de nos traces que l'on souhaite voir disparaitre du web. Mais en réalité, elles ne font que les masquer en ajoutant d'autres données qui vont prendre le dessus sur les données gênantes dans la liste des résultats sur les moteurs de recherche. Il devient juste difficile de les trouver...
Quant au droit à l'oubli promis par Google, il consiste juste à ne pas afficher les sites gênants... mais ils existent toujours ! Au final, ce droit à l'oubli semble donc bien illusoire.
Et de conclure sur le "trilemme" qui se pose selon lui aujourd'hui à nos sociétés numériques, à savoir l'envie de satisfaire simultanément trois désirs contradictoires : le respect de l'intimité de sa vie privée, un besoin de protection par l'Etat, et une aspiration à toujours plus de transparence. Or il y a fort à parier qu'aucune technologie numérique ne parviendra à le résoudre!
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