Apprendre par cœur les fables de Jean de la Fontaine ?

Gageons que l’on va entendre parler et lire beaucoup cette année d’anecdotes et d’informations concernant Jean de La Fontaine (1621-1695) dont on fête le 400ème anniversaire de la naissance. Rappelons que l’homme avait déjà 47 ans quand il publia ses premières fables (1).

Comme d’autres fabulistes dont Esope, le plus fameux d’entre eux dont Jean revendiqua l’exemple, l’inspiration et parfois même le copié-collé, les animaux servent d’alibis pour parler des mœurs et coutumes humaines : pouvoir des grands et faiblesse des petits. Certains petits font toutefois preuve de ruse ou d’habilité pour se jouer des grands. Rappelons que Jean de la Fontaine ami de Fouquet, témoin de sa disgrâce, en fut très marqué.

Pour chacun d’entre nous, le nom de la Fontaine permet d’évoquer immédiatement une sentence entrée dans le langage commun : « On a souvent besoin d’un plus petit que soi » ou « vendre la peau de l’ours »

Parfois de réciter une phrase en entier (ou au moins une strophe) :

Et l’on peut assez vite retrouver une liste des animaux, acteurs d’une fable : le corbeau, le renard, la cigale, la fourmi, l’agneau, le loup etc. A vous de jouer !

Dans nos représentations, les fables sont le prototype de l’apprentissage par cœur. Mais qu’est-ce que l’apprentissage par cœur et est-il encore d’actualité d’apprendre à nos enfants, nos petits enfants ou nous-mêmes, quelque soit notre âge, les fables ?

Le par cœur a longtemps été un enjeu pour conserver la mémoire. Evidemment, le livre et maintenant les supports audiovisuels et informatiques rendent cette fonction caduque : « C’est semble-t-il dans les écrits de Rabelais que l’expression "savoir par cœur" a fait sa première apparition. En tout cas, la place de la recitatio apprise par cœur, traduction de l’autorité énonciative valorisée au moyen-âge (Ricœur, 2000) (2) est "la" méthode d’apprentissage scolastique des éducateurs religieux médiévaux. Elle trouve sa légitimation dans l’Ars memoriae, culte de la mémoire, qui, adossé à la rhétorique, devient "trésor de toute chose" (mémoire des versets bibliques, mémoire des répertoires, des listes et des protocoles). » (3).

Ces données permettent de comprendre le débat entre ceux qui prônent l’importance du par cœur pour la force des acquis culturels trans-générationnels dont La Fontaine est un prototype ! D’autres y sont hostiles voyant là un apprentissage uniquement servile. La politique s’en mêlant, le par cœur peut être revendiqué par certains conservateurs ou honni par certains progressistes et il est ou non politiquement correct selon les époques.

L’apprentissage mécanique est réapparu dans les programmes scolaires au moins dans les domaines de la lecture et des mathématiques en 2008. « Alain Lieury (2004) (4) affine les rapports de la mémoire et de la réussite scolaire, montrant au chapitre "faut-il abolir l’apprentissage par cœur" que le facteur R (l’intelligence inductive) n’est pas seul à expliquer la réussite de l’élève mais que la mémoire, y compris encyclopédique, est aussi très impliquée. Rappelons que corrélation n’est pas cause, mais admettons avec l’auteur, qu’à tout le moins, des liens de confortations réciproques existent entre réussite scolaire et apprentissage par cœur.» (3)

Les objectifs de la mémorisation par la répétition sont dans toutes les enquêtes auprès des instituteurs extrêmement nombreux. On peut citer logiquement le fait d’augmenter le lexique, de donner des structures de phrases, des procédures de calculs, des automatismes etc. Là encore, les fables sont un exemple de choix de ces acquis. Il faut aussi souligner les apports méthodologiques : faciliter la rapidité, construire d’autres apprentissages, alléger la charge cognitive et  faire travailler la mémoire !

Les enseignants qui utilisent le par cœur soulignent qu’ils s’intéressent également à favoriser le raisonnement, l’expression, la compréhension, le plaisir et à installer entre les élèves une culture commune et des échanges. Une conséquence peut être de repérer les difficultés de certains élèves.

On voit que la critique de l’apprentissage par cœur « bête et discipliné » (la mémoire perroquet) tombe et qu’apprendre par cœur n’empêche pas de comprendre, réfléchir, élaborer sa propre pensée. Il faut tout de même rappeler le poids de l’apprentissage par cœur dans les dictatures ou les sectes. « Au chapitre des inconvénients, il faut garder à l’esprit que l’apprentissage par cœur peut être un instrument au service du pire : rendre tous les individus identiques, en faire des clones leur inculquant le même discours totalitaire. » (3).