« Tu crois qu’on s’en souviendra ? » Mémoire collective du Covid-19

Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS et historien au centre européen de sociologie et de science politique, (Université Paris 1, CNRS, EHESS), nous livre son point de vue sur la crise de la Covid 19 dans la mémoire collective.

Publié le 17.07.2020
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Denis Peschanski

Denis
Peschanski

Directeur de recherche au CNRS, historien au centre européen de sociologie et de science politique, (Université Paris 1, CNRS, EHESS) et membre du Conseil scientifique de l'Observatoire B2V des Mémoires

Ce n’est pas parce qu’un événement peut être qualifié d’extraordinaire qu’il s’inscrit nécessairement dans la mémoire collective et, quoi qu’il en soit, qu’il s’y inscrit pour longtemps.

1. La difficulté avec la mémoire collective, c’est qu’on ne sait pas toujours quels événements y resteront ancrés et pour combien de temps.

Cela peut sembler curieux de se poser la question dès aujourd’hui mais la particularité de cette mémoire, c’est qu’elle commence dans la contemporanéité de l’événement, qu’elle est incompréhensible sans prendre en compte le passé et qu’elle va fortement évoluer avec le temps. Il est donc logique de se poser la question alors que l’épidémie n’est pas éteinte. Si l’on part de la définition de la mémoire collective comme représentation sélective du passé qui participe à la construction identitaire du groupe (groupe entendu comme segment de société ou société dans son ensemble), il faut se demander ce qu’est ce passé immédiat, cet événement qu’on mémorise collectivement. S’agit-il donc d’un événement extraordinaire ? Ce sera notre première interrogation. Mais ce n’est pas parce qu’un événement peut être qualifié d’extraordinaire qu’il s’inscrit nécessairement dans la mémoire collective et, quoiqu’il en soit, qu’il s’y inscrit pour longtemps. Il faut donc réunir ce que j’appelle les conditions de la mise en récit mémoriel. En d’autres termes : quelles sont les conditions pour que l’événement, si important soit-il, ou pas, pour le spécialiste, soit « sélectionné » ? Chacun aura compris que cette sélection répond à des mécanismes fort complexes qui ont très peu à voir avec la décision raisonnée d’un deus ex machina. La définition donne une piste : il faut que cet événement remémoré ait un sens, une utilité sociale et participe, que l’événement soit positif ou négatif, à la construction identitaire du groupe. La question devient plus complexe encore si l’événement est mondial. Or tel est le cas. Peut-on imaginer même que se construise un régime mémoriel, autre outil conceptuel que je propose, sorte de configuration mémorielle dominante en un temps donné et suffisamment stable dans une certaine durée, une configuration qui est structurée par telle ou telle figure structurante. Travaillant depuis un certain temps ou plutôt un temps certain sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et la mémoire des attentats terroristes de dernière génération, je vois comment s’entrecroisent, suivant les moments, la figure du héros et celle de la victime, quelle est la place de la figure de l’État ou de la société civile. On comprend bien que toutes ces interrogations justifient qu’on puisse s’interroger sur la mémoire du CoVid-19 qui pourrait se développer en France. Car on ne vit pas sans mémoire.

2. En quoi l’événement Covid-19 a-t-il une dimension extraordinaire ?

On pourra m’objecter que la formulation même de la question est biaisée puisque la réponse y est implicite. J’assume parce qu’il s’agit bien à mon sens d’un événement extraordinaire, non par telle ou telle de ses caractéristiques mais par leur commune présence.

C’est une crise multidimensionnelle. Crise sanitaire, elle a mobilisé massivement le service de soins français jusqu’à son engorgement un temps et s’est traduite par une surmortalité élevée. À ce sujet, il faut éviter deux écueils : les statistiques non encore stabilisées montrent, dans le cas français, que la mortalité est significative. La mortalité journalière est comparable à celle de la fameuse grippe de Hong Kong de 1969, même si, pour l’instant, elle ne s’étale pas sur une plage de temps aussi longue. La mortalité liée à la grippe hivernale n’est pas, quoiqu’on en dise, à un tel niveau, même si celle de 2018, par exemple, a été élevée. Si l’on passe à l’échelle mondiale, en un temps rapproché et en moyenne lissée, et sans compter les statistiques improbables de la Russie, du Brésil ou même des États-Unis (malgré Johns Hopkins !), elle est en concurrence en haut de tableau avec les hépatites et la tuberculose parmi les maladies infectieuses. Si l’on élargit la focale, les canicules des étés 1976, 1983 ou, plus modérément, de 2019 sont bien moins meurtrières mais, à l’inverse, il faut souligner le pic de la canicule de 2003, cependant, pour l’essentiel, concentrée sur une dizaine de jours. En un mot ce n’est pas anecdotique, il s’en faut de beaucoup. Il faudra aussi prendre en compte la surmortalité sur un an, car nombre de malades qu’il fallait traiter urgemment ont décalé leurs rendez-vous, craignant le virus ou ne souhaitant pas surcharger les services. Il faudra enfin faire le décompte de la morbidité, et en particulier des troubles psychiques. Pour autant, nous sommes très loin d’autres formes de mortalité et de morbidité hors guerre, comme la fameuse grippe espagnole il y a un siècle, ou comme les cancers ou la faim dans le monde, et que dire des deux conflits mondiaux, parmi tant d’autres dans ce siècle de mort de masse. Cela signifie que, prise isolément, la mortalité ne suffit ni à en faire un événement unique, ni à justifier en soi un ancrage mémoriel durable.

Crise multiple avons-nous dit. Il suffit d’égrener les autres dimensions. Que dire ainsi de la crise économique et sociale, en France et dans le monde. Quand on annonce une chute de 8 à 11 points de PIB en France, on se doit de constater que la très grave crise des subprimes a été limitée en 2009 à une baisse de 3 %. De plus graves en France, Daniel Cohen ne peut évoquer que la crise des années 1930, avec une chute de près de 20 % si l’on prend comme référence le point bas de 1935, et évidemment les deux guerres mondiales, avec -30 et -40 %. On remarquera au passage que cela se fait sur une période bien plus longue. En méta-analyse d’économie politique, on semble s’orienter vers une autre configuration dominante : les nouveaux modèles de référence ne seront sans doute plus les mêmes. Quant à la crise sociale, elle est surtout à venir puisque le modèle français a mis en œuvre une « nationalisation » des salaires, les quelque 10 à 12 millions de chômeurs partiels étant pris en charge pour l’instant par l’État, ces périodes comptant en outre dans le calcul des retraites. Le moment de vérité est décalé à l’automne, mais avec un matelas social qui tranche avec la radicalité du modèle américain par exemple (15 % de chômeurs fin avril ; des hôpitaux financièrement inaccessibles à beaucoup d’Américains). La crise politique est plus compliquée à mettre en équations et à mesurer. Elle passe au moins par une remise en cause drastique des modèles de référence du chef de l’État, de son gouvernement, mais peut-être aussi d’une partie des forces politiques. Comment cela prend-il dans l’opinion ? Toute conclusion est prématurée. L’énorme volatilité des sondages au cœur de la crise et, plus encore, entre le pic et la sortie, imposera une prise de hauteur sur un temps plus long. Il faudra aussi mesurer ce qu’il en est, segment de société par segment de société, ainsi du monde des soignants et du monde de l’enseignement. Pour l’instant on ne peut pas parler de crise politique et institutionnelle. Quant à l’opinion, elle révèle des changements sans doute importants dans les systèmes de représentation mais plus compliqués à prendre en compte car s’étalant sur un temps plus long, sans qu’on sache actuellement avec précision si cette évolution / révolution / crise ? relève du temps court du Covid ou des épisodes sociopolitiques antérieurs.

Nous serons succincts sur une autre caractéristique de cette crise événementielle : elle est crise multi-échelles. Pour qui veut l’appréhender pleinement, il faudra prendre en compte l’individu, la famille, la ville ou le village, la région, le pays, l’Europe et le monde. Car on sent bien que des choses jouent à chaque niveau et que des interactions viennent encore complexifier le tableau.

Il reste cette singularité absolue que constitue l’expérience individuelle et collective du confinement complet sur deux mois, et trainant sur un mois minimum encore. On a eu plaisir, dans les médias classiques et les réseaux sociaux, à pointer les libertés prises par les citoyens avec la loi, mais ce qui frappe c’est la réalité et l’ampleur de cet enfermement accepté. Y compris dans les zones dont on a pu constater, après quelques semaines, qu’elles étaient faiblement ou n’étaient pas touchées. Ce n’était pas joué d’avance, car beaucoup pensaient à une extension inexorable du virus vers l’Ouest. Ce n’était surtout pas joué d’avance quand on se gaussait des traditions gauloises et donc protestataires des Français. Les imaginaires sociaux ont bon dos. Toujours est-il que cette glaciation sous les rayons d’un beau soleil de printemps a profondément bouleversé l’économie habituelle des relations intrafamiliales, sociales et professionnelles.

Il s’agit donc bien, en l’absence de recul cependant, d’un événement majeur révélant une crise multidimensionnelle et multi-échelles, sans que la mortalité, à laquelle on pense a priori, en fasse un événement singulier. L’originalité radicale du confinement est venue interagir avec chacune de ces composantes et de ces niveaux, au point qu’il sera bien compliqué d’y voir un épisode anecdotique. Litote.

3. Peut-on pour autant assurer que ce moment-événement s’inscrira dans la mémoire collective des Français ?

Ce n’est pas a priori chose acquise. Quand on regarde l’histoire des grands conflits contemporains, les exemples sont nombreux d’événements majeurs pour l’historien, mais qui n’ont pas imprimé la représentation collective du passé. Prenons deux exemples classiques dans la Seconde Guerre mondiale. L’exode a jeté sur la route huit millions de Français au printemps 1940. L’effondrement intérieur. Ajoutons les millions de ceux qui les ont accueillis ou simplement vus passer dans un pays qui ne comptait qu’environ 40 millions d’habitants en métropole. Paris était presque vide quand les troupes allemandes entrèrent dans la ville le 14 juin 1940. Et pourtant. Qui peut dire que cet événement, majeur par son ampleur, sa signification et ses conséquences, s’est inscrit réellement dans la mémoire collective ? À quel moment il fut cette composante structurante qui bouge les imaginaires ? Il y eut des livres et des films, bien sûr. Mais au fond, la mémoire était ailleurs. Que faire, en effet, avec la peur, la honte, la fuite, le vol même ? On n’en fait rien. Ou plus exactement il n’a pas le sens, l’utilité sociale nécessaires pour participer à la construction identitaire de la société. On pourrait aussi prendre l’exemple des bombardements alliés en Normandie à l’été 1944. En trois mois, il y eut bien plus de morts, de blessés, de destructions en cette région que pendant toute l’Occupation. Mais que fait la mémoire de bombes lâchées par ceux-là mêmes qui viennent vous libérer ? Au sens strict, cet événement n’a aucun sens, aucune utilité sociale. Alors c’est la double peine : celle des destructions profondément vécues au cœur de chaque famille et celle d’un triste constat – l’absence de relais dans la mémoire collective des Français de la mémoire éclatée des familles normandes.

Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il y a des conditions de la mise en récit mémoriel. L’événement doit être d’importance pour toucher massivement, mais, on l’a compris, cela ne suffit pas. Il n’est pas nécessairement « positif ». On sait l’importance de la figure du héros résistant dans la mémoire française de la Seconde Guerre mondiale, mais on sait aussi celle de la figure de la victime ou même celle de la figure honnie de Vichy. L’événement doit participer à la construction identitaire de la société. Dans le cas du Covid, il s’agit de savoir si l’événement dans sa globalité va s’inscrire dans la mémoire collective, mais aussi – si, comme j’en suis convaincu, tel sera le cas – quelle dimension de cet événement sera privilégiée. Sur un tout autre sujet, la mémoire du terrorisme islamiste des deux premières décennies du nouveau siècle, la figure structurante, en France, est bien la figure de la victime, alors qu’elle aurait pu être tout autant celle du héros aidant, comme, depuis le 11 septembre 2001, au moins pour les Américains, celle des pompiers de New York ou celle des passagers qui se sont levés pour essayer de neutraliser l’avion détourné qui s’est finalement crashé en Pennsylvanie.

Pour autant la mémoire n’est pas figée. À chaque étape il y a des configurations nouvelles qui répondent autant à l’événement mémorisé qu’au poids du contexte dans lequel il est remémoré. C’est pourquoi je parle de régime mémoriel, sorte de configuration mémorielle dominante dans une société donnée, en un temps suffisamment long pour être significatif, structurée autour de telle(s) ou telle(s) figures.

4. Alors je prends un pari.

Peu risqué au demeurant. L’événement Covid-19 est d’une telle amplitude et d’une telle pluralité, il a pris une telle forme qu’il débouche déjà sur un régime mémoriel singulier. Le passé composé ou le présent vous surprennent ? C’est que le passé définitoire de la mémoire collective commence dès le présent de l’événement. Cela renvoie d’ailleurs à une notion essentielle en histoire, celle de la représentation. Car qu’est-ce qui intervient le plus dans un processus décisionnel ou dans une opinion individuelle ou collective ? Ce n’est pas l’événement tel que l’historien peut le reconstituer et lui donner sens, mais la représentation qu’en ont les acteurs. Et ainsi la représentation de l’événement prend statut d’événement. Ainsi s’ébauche sur le moment même une représentation qui, une fois stabilisée, prend vite, dans sa complexité, la forme d’un régime mémoriel.

Je prends donc le pari que se construit dès aujourd’hui une mémoire collective de cet événement extra-ordinaire. Il ne s’agit pas, on l’a compris, de la somme des mémoires individuelles, mais d’une représentation largement partagée qui transcende l’événement vécu.

Les conditions de la mise en récit mémorielle sont réunies au vu de l’ampleur de l’événement, mais plus encore – car c’est une condition sine qua non –parce qu’il participe à une construction identitaire. Le sens qu’on lui donne, l’utilité sociale qu’il a sont liés aux figures mêmes qui structurent cette représentation collective du passé. Depuis les années 1980, c’est la figure de la victime qui est structurante. Cela vaut pour la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Contre ce qu’on en a dit, la figure de la victime juive ne s’est pas imposée au milieu des années 1970. On a confondu le surgissement de vecteurs de mémoire, comme les ouvrages de Robert Paxton et le combat et les écrits de Serge Klarsfeld, avec l’inférence dans l’opinion. Il faut attendre 1985 pour voir s’imposer la figure structurante de la victime, et singulièrement de la victime juive dans un nouveau régime mémoriel. La figure du héros résistant n’a pas disparu mais elle est passée largement au second plan, alimentant une mémoire faible contre la nouvelle mémoire forte. Or la victime est tout aussi prégnante dans la mémoire du terrorisme. C’est d’ailleurs en 1986 que Françoise Rudetzki, victime d’un attentat trois ans plus tôt au Grand Véfour, a monté l’association SOS Attentats et qu’elle eut un rôle majeur dans la création, la même année, du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions, le FGTI. Dans la suite des attentats de novembre 2015, ce sont bien deux associations de victimes qui vont occuper le terrain mémoriel, Life for Paris où se retrouvent plutôt les jeunes du Bataclan et des terrasses, et 13onze15 Fraternité et Vérité qui regroupe majoritairement des parents endeuillés. Cette centralité des victimes se retrouve dans les autres associations créées avant, comme l’Association française des victimes du terrorisme, l’AFVT, ou après, comme celles associées aux attentats de Nice. Dans tous les cas, l’accent est mis sur la victime beaucoup plus que sur l’aidant – on ne parle pas vraiment de héros. On l’a dit, l’exemple américain dessine un régime mémoriel bien différent. On prendra garde donc de ne jamais oublier ce qui se passe dans d’autres pays, surtout quand il s’agit de la mémoire d’une pandémie.

Dans ce contexte où la mémoire héroïque est le plus souvent une mémoire faible, et la mémoire victimaire une mémoire forte, qu’en est-il de la mémoire du CoVid-19 ?

Tout laisse à penser que le héros soignant sera la figure structurante de la mémoire collective du Covid-19. Non qu’on oubliera les victimes, mais tout indique dès aujourd’hui que c’est le chemin suivi. Complément du grand récit qui se construit, le rituel du 20 h et de ses applaudissements qui s’est imposé au président de la République lui-même, au point qu’il a décalé de quatre minutes le début de son intervention télévisuelle, traduit la solidarité du peuple autour de ces/ses héros. Au-delà des écarts, au fond limités, face aux consignes de confinement imposées par l’État mais exigées aussi par les soignants, le confinement trouve toute sa place dans ce récit partagé qui fonde et identifie le régime mémoriel. Dans le Panthéon de ce régime mémoriel figureront, au sommet, les héros qui ont donné leur vie pour sauver celle des autres. C’est sans doute à eux que seront dédiées les traces habituelles de l’hommage de la nation. Au-delà, on honorera tous les soignants. Du côté de l’État cela commence déjà par deux décisions actées le 14 mai 2020, l’une réactualisant une ancienne médaille, l’autre accordant une prime spéciale aux personnels exposés. C’est aussi à eux qu’on accordera une revalorisation des carrières. On honorera les soignants lors de la commémoration du 14 juillet. Dans la société solidaire, il y a l’applaudissement de tous, mais aussi ces catégories généralement oubliées qui ont tenu en ces semaines tragiques, les caissières ou les postiers, les éboueurs ou les vendeurs. Le peuple des aidants est mis à l’honneur dans un contexte où les élites politiques et économiques sont bousculées. L’interrogation porte encore sur la place des chercheurs et des experts. Pour les pontes, une anecdote circule sur les réseaux sociaux : « les médecins sont si nombreux sur les plateaux télé que si vous appelez le 15 vous tombez directement sur le standard de BFM ». Les aventures politico-médiatiques du savant de Marseille ont sans doute participé au brouillage qui interdit à ce jour de savoir si sera reconnue pleinement la place des chercheurs travaillant sur les traitements ou les vaccins. Sans s’avancer beaucoup, on risque de trouver à chaque molécule une utilité ponctuelle à tel moment de développement de la maladie, mais, sauf surprise, il n’y aura pas de médicament global et miracle. En revanche, la découverte fort probable d’un vaccin devrait participer à rehausser l’image du chercheur. À côté se trouveront aussi tous ceux qui, dans la société civile, se sont mobilisés pour aider bénévolement, à titre individuel ou à titre collectif. Les émissions de radio et de télévision ont régulièrement rendu compte de ces gestes multiples d’une action qui, comme toujours quand la mobilisation répond ainsi à l’urgence, a constitué une aide exceptionnelle, en marge des circuits habituels. Ces comportements individuels et collectifs peuvent s’avérer décisifs dans la construction du récit partagé.

Les victimes, hormis les héros, viennent comme en arrière-plan du tableau. Non qu’on les oublie ; ils seront là comme la trace d’une tristesse profonde qui a accompagné ces mois de combat et qui restera la toile de fond de l’hommage national. Les commémorations ne se feront jamais dans la joie de la gloire qui a vaincu.

Quelle sera la place de l’État, du président, du gouvernement et de l’Administration ? Ils accompagneront ce processus mémoriel à mon sens inéluctable. Les tensions sont certainement trop fortes pour imaginer qu’ils trouvent leur place dans l’hommage partagé. L’objet n’est pas ici de déterminer s’ils ont failli ou pas, si leur engagement doit être salué ou pas. Nous nous situons sur le terrain des représentations. L’enjeu mémoriel sera décisif pour l’exécutif, comme il l’est toujours car il a un rôle clé dans la construction de ce régime mémoriel. Gageons que le discours et la geste mémoriels de l’exécutif viseront à renvoyer au peuple de la solidarité comme aux héros de ce combat épuisant une image résolument positive : la République a tenu.

Source

Peschanski D. « Tu crois qu’on s’en souviendra ? » Mémoire collective du Covid-19. Revue de Neuropsychologie 2020