Un poisson nommé cheval : l’hippocampe !

L'hippocampe est un animal marin fascinant, mais aussi une partie du cerveau qui a un rôle essentiel dans notre mémoire. Découvrez les liens entre ces deux phénomènes hors normes.

Publié le 06.10.2021
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Catherine Thomas Anterion

Catherine
Thomas-Anterion

Neurologue et membre du Conseil scientifique de l'Observatoire B2V des Mémoires

De plus en plus de chercheurs démontrent que la santé mentale, le sommeil, l’attention et la qualité des apprentissages ou encore le bon fonctionnement cardio-vasculaire sont associés à la proximité des espaces verts ou bleus (environnements aquatiques et marins). « Ces expériences peuvent se produire par des conditions de contact "réel" (in situ), des vues de fenêtre, des représentations (par exemple, des photographies de paysages) ou des simulations (par exemple, la réalité virtuelle). Elles peuvent être délibérées ou fortuites, seront généralement colorées par des associations personnelles et des significations socioculturelles, et peuvent se produire dans le contexte d'activités diverses (par exemple, visites de parcs et observation passive) » [1].

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Les vacances sont le temps du repos, de la vie en extérieur, des retrouvailles et de l’immersion dans la nature, y compris tout près de chez soi. Après nos balades en forêt, nos pique-niques à la campagne, nos bains en rivière ou dans l’océan, il nous faut retourner à nos tâches de rentrée ! Nous pouvons toutefois continuer des immersions par écran interposé et mesurer même sans machine ou dosage biologique combien cela fait du bien, contribue à notre plaisir et aide à la méditation.

Pour rester dans les thèmes de notre chronique art et mémoire, nous vous invitons à voyager sur la page Facebook de Claire Jeuffroy, photographe sous-marine qui nous offre à travers son œil incomparable et grâce à sa patience, des photographies – certaines sont réalisées en apnée – du monde de la mer, enchanteresses. Des images qui font du bien ! Elle nous a ainsi confié quelques images fabuleuses d’hippocampes.

Les chevaux de mer sont des poissons dont on dénombre une cinquantaine d’espèces dans les eaux tempérées et tropicales. Claire Jeuffroy nage avec eux et les photographie pour notre plus grand bonheur au large des îles des Saintes. « L'hippocampe a des particularités qui le rend très attachant. Sa beauté déjà. Difficile de réaliser qu'il est un poisson à l'instar du poisson rouge de nos bocaux. Aux Antilles on l’appelle : cheval (lanmè en créole) et en français l'origine du mot hippo signifie cheval » nous écrit-elle. Les photos de la talentueuse photographe nous montrent la beauté de sa tête de cheval mais aussi de son corps d’insecte, de sa queue préhensile de singe ou de ses yeux globuleux orientables.

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L’hippocampe nage verticalement et se déplace par reptation. Claire Jeuffroy nous montre comment sa queue s’enroule dans le fond marin et comment à la façon d’un caméléon – sa seule défense étant le camouflage – il se fond dans l’environnement, l’iris souvent en harmonie avec la couleur de son corps, cherchant un support dans l’herbier pour assurer sa subsistance. Autre particularité, il s’agit d’une espèce où la femelle remplit la poche d’œufs du mâle qui couve ceux-ci après une « véritable et magnifique danse nuptiale ». Apprenons encore que « les hippocampes ayant une espérance de vie très limitée : 2 à 4 ans et faisant l'objet d'une pêche intensive (vertus aphrodisiaques supposées), leur population est en déclin. Ils font du reste l'objet d'une protection. Leur capture est sanctionnée par une amende de 150 000€ et 3 ans de prison. »

L’hippocampe cérébral a tout à fait le look de l’animal mais enroulé sur lui-même, il est difficile à voir tel quel en dehors d’une imagerie du cerveau en 3D. Il a aussi d’une certaine façon un pouvoir fascinant, notamment quand on s’interroge sur la complexité de son fonctionnement. Il s’agit de la partie interne du lobe temporal (notre cerveau compte un hippocampe gauche et un hippocampe droit). Celui-ci est composé de deux parties ; la corne d’Ammon (avec quatre sous régions de CA1 à CA4) et le gyrus denté [2]. Il est relié par le subiculum depuis CA1 au cortex entorhinal si bien que lorsqu’on évoque l’hippocampe comme une structure fondamentale dans le fonctionnement de la mémoire humaine, il est plus juste de parler « de formation hippocampique ».

L’animal cérébral a effectivement tout de l’animal marin : tête, corps et queue. Dans les maladies dégénératives concernant l’hippocampe : maladie d’Alzheimer, DFTc à TDP-43 etc., le dépôt de protéines et la dégénérescence conduisent à son atrophie notamment de son corps qui de dodu, devient étroit. L’hippocampe est composé de plusieurs types de cellules : les neurones sont principalement pyramidaux ou granulaires (mais il y en a plein d’autres formes) et les cellules gliales sont nombreuses. Les afférences et les efférences, c’est-à-dire les communications avec d’autres structures sont le témoin d’une extrême connectivité car l’hippocampe (ou le complexe hippocampique) est un centre de convergence phare dans le cerveau notamment des différentes modalités sensorielles projetées des différentes aires associatives du cerveau.

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Une erreur courante est de penser que « nos souvenirs » sont stockés dans cette structure : pas du tout ! L’hippocampe n’est pas le siège statique de la mémoire à long terme, une bibliothèque ou un ordinateur stockant des data et pourtant ses capacités d’apprentissage sont sans limite. Cette région permet d’encoder des informations, de les consolider et de récupérer et reconstruire des souvenirs déclaratifs (mémoire épisodique et sémantique) et des éléments de mémoire spatiale [3]. Le fonctionnement de l’hippocampe est rendu possible par son extraordinaire capacité de plasticité synaptique (espace d’échange et de communication entre deux neurones) : les traces mnésiques se font, se défont, se refont ! Ceci est possible par la potentiation à long terme (LTP) décrite par Bliss et Lomo, il y a 50 ans [4]. La LTP est une augmentation persistante de la force synaptique par un mécanisme électrochimique appelée à encoder et consolider une trace mnésique. Il existe un phénomène inverse, la dépression à long terme (LTD) décrite par Dudek et Bear, vingt ans plus tard [5],  qui est en quelque sorte, un mécanisme synaptique d’oubli. La structure de la synapse conditionne sa fonction tout comme le fonctionnement de la synapse modifie sa structure.

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Si nos hippocampes cérébraux ne paradent pas et sont figés dans la matière cérébrale, la récupération en mémoire, l’effacement des souvenirs, les apprentissages et les mécanismes d’oubli sont bel et bien des phénomènes dynamiques qui permettent le voyage mental dans le temps passé et futur, à la manière des habiles cabrioles du cheval de mer du fond vers la surface.

© Photos : Claire Jeuffroy

Notes

Hartig T, Kahn H. Living in cities, naturally. Science 2016 ; 352 : 938-940.
Amaral, D, Lavenex P. Hippocampal Neuroanatomy . In Andersen P, Morris R, Amaral D, Bliss T, O'Keefe J. The Hippocampus Book. Oxford University Press, 2006.
Desgranges B, Eustache F. Les nouveaux chemins de la mémoire. Le Pommier, 2020.
Bliss TV & Lomo T. Long-lasting potentiation of synaptic transmission in the dentate area of the anaesthetized rabbit following stimulation of the perforant path. J Physiol 1973, 232(2) : 331-56.
Dudek SM & Bear MF. Homosynaptic long-term depression in area CA1 of hippocampus and effects of N-methyl-D-aspartate receptor blockade. PNAS 1992, 89(10) : 43-6.